La Turquie s'est dit prête lundi à élargir son offensive contre une milice kurde à d'autres zones du nord de la Syrie, au lendemain de la prise de la ville d'Afrine, largement vidée de ses habitants et théâtre de scènes de pillage.

Ankara n'a jamais caché son hostilité face à l'autonomie de facto acquise par les Kurdes de Syrie dans de vastes territoires proches de la frontière turque, à la faveur du conflit meurtrier et complexe qui ravage la Syrie depuis 2011.

En prenant Afrine dimanche avec l'aide de supplétifs syriens alliés, «nous avons laissé derrière nous l'étape la plus importante de l'opération» lancée le 20 janvier dans le nord-ouest syrien, a déclaré lundi le président turc Recep Tayyip Erdogan.

Cette offensive vise la milice kurde des Unités de protection du peuple (YPG), classée «terroriste» par Ankara mais allié précieux de Washington dans la lutte contre le groupe djihadiste État islamique (EI).

«Nous allons poursuivre ce processus jusqu'à la destruction totale de ce corridor constitué de Minbej, Aïn al-Arab (nom de Kobané en arabe), Tal Abyad, Ras al-Aïn et Qamichli» dans le nord syrien, a averti M. Erdogan.

Des troupes américaines, qui continuent de soutenir les combattants kurdes dans la lutte contre l'EI, sont actuellement stationnées à Minbej, à une centaine de km à l'est d'Afrine.

Selon l'Observatoire syrien des droits de l'Homme (OSDH), quelque 250 000 civils ont fui les violences à Afrine et des dizaines d'autres ont été tués, ainsi qu'environ 1500 combattants kurdes.

Khaled Issa, représentant en France du Kurdistan syrien (Rojava) a dénoncé «un nettoyage ethnique» dont «les grandes puissances restent spectatrices».

Le président du Comité international de la Croix-Rouge, Peter Maurer, a demandé lundi un accès humanitaire à la ville d'Afrine ainsi qu'aux déplacés. 

«Grande victoire» 

La conquête d'Afrine permet à Ankara de consolider son rôle dans une guerre complexe qui oppose sur plusieurs fronts des belligérants soutenus par des puissances étrangères et a coûté la vie à plus de 350 000 personnes depuis 2011.

«C'est une grande victoire pour Erdogan», estime l'analyste Fabrice Balanche, confirmant que la Turquie construit «une zone d'influence dans le nord» syrien.

«Le rêve d'autonomie des Kurdes s'effondre. Les YPG vont se faire écraser par la Turquie (...)», assure ce spécialiste de la Syrie.

Le régime de Damas, qui n'a jamais véritablement répondu à l'appel à l'aide des forces kurdes, à l'exception de l'envoi de quelques combattants, a condamné lundi «l'occupation turque à Afrine et ses crimes» et a réclamé «le retrait immédiat des forces d'invasion des territoires syriens qu'elles ont occupés».

Les États-Unis ont mis en garde leur allié à l'OTAN, exprimant leur «profonde préoccupation (...) à propos de la situation à Afrine».

Le ministère français des Affaires étrangères a lui jugé que «les préoccupations légitimes de la Turquie concernant la sécurité de sa frontière ne devaient pas conduire à une implantation militaire dans la profondeur du territoire syrien». 

«Chaos généralisé» 

De nouveaux pillages ont été menés lundi dans la ville par des combattants syriens pro-Ankara, selon l'OSDH. «C'est le chaos généralisé», a ajouté l'ONG qui dispose d'un vaste réseau de sources sur le terrain.

La veille, des correspondants de l'AFP avaient vu des magasins saccagés, des combattants chargeant pêle-mêle dans des pick-up cartons de nourriture, chèvres, couvertures et même des motos, avant de quitter la ville.

Ankara a annoncé lundi qu'elle enquêtera sur les informations faisant état de pillages à Afrine. «Certains groupes n'ont probablement pas suivi les ordres», a dit un porte-parole de la présidence turque.

Sur un autre front, dans la Ghouta orientale, le régime syrien a reconquis plus de 80% du dernier fief rebelle aux portes de Damas, à la faveur d'une offensive soutenue par son allié russe.

Un mois jour pour jour après le début de cette opération, le président Bachar al-Assad s'est rendu dimanche sur place, auprès de troupes du régime.

La présidence syrienne a publié des vidéos le montrant en tenue décontractée, lunette de soleil et col de chemise ouvert, au volant de sa voiture pour se rendre dans la Ghouta.

Au lendemain de cette visite, le pilonnage du régime s'est poursuivi et au moins 39 civils ont été tués lundi dans la Ghouta, selon l'OSDH.

Parmi eux, 15 enfants et deux adultes ont été tués par un raid aérien alors qu'ils s'abritaient dans une école à Arbine, située dans une poche rebelle.

«Le sous-sol de l'école était utilisé comme abri» contre les bombardements, a expliqué le directeur de l'OSDH Rami Abdel Rahmane, qui a indiqué que le raid avait probablement été effectué par l'aviation russe.

Depuis le 18 février, les bombardements ont tué plus de 1450 civils, dont 297 enfants, d'après l'OSDH.

Pour échapper aux bombardements et à la mort, près de 70 000 personnes ont fui les territoires rebelles ces derniers jours.