L'évacuation musclée d'immigrants sans papiers occupant illégalement des locaux est devenue chose courante en France, au point de ne plus guère émouvoir la population.

On aurait pu croire que le scénario se répétait la semaine dernière lorsque des centaines de ressortissants africains, qui squattaient un immeuble du Xe arrondissement, ont été poussés à la rue. Jusqu'à ce qu'il s'avère que les responsables de l'expulsion étaient... des représentants de la CGT, un syndicat engagé dans la lutte pour les sans-papiers.

 

«Si c'est ça la CGT, non merci. Ils devraient avoir honte de ce qu'ils ont fait», souligne Famady Sylla, ressortissant de Guinée-Conakry de 57 ans, qui vit depuis une vingtaine d'années sans titre de séjour sur le territoire français.

Comme lui, des centaines de sans-papiers, détenant pour la plupart des emplois obtenus grâce à de faux documents, s'étaient installés, en mai 2008, à la Bourse du travail, dans des locaux de la Ville de Paris utilisés normalement par plusieurs centrales syndicales.

L'occupation faisait suite au lancement d'une campagne de régularisation par la CGT, qui avait incité plusieurs travailleurs sans papiers à se mettre en grève pour mettre en relief l'importance de cette force de travail «illégale» dans l'économie.

Rien ne bouge

Pendant près d'un an, les occupants de la Bourse, qui se jugeaient négligés par le syndicat, ont cohabité sans véritables heurts dans l'immeuble, manifestant de manière hebdomadaire pour réclamer leur régularisation. Sans réussir à faire bouger les autorités de l'immigration.

La situation semblait enlisée jusqu'à ce que le syndicat envoie des militants musclés évacuer les lieux, profitant d'un moment où la majorité des occupants étaient partis manifester.

«Ils sont arrivés avec des bâtons et ont aussitôt envoyé du gaz lacrymogène. J'ai été frappé ici et là», indique M. Sylla, en montrant des ecchymoses au tibia et à la hanche.

Beaucoup de policiers sont arrivés sur les lieux après que des passants les eurent alertés de l'affrontement en cours. Quelques centaines d'occupants ont décidé ensuite de s'installer sur le trottoir adjacent à l'immeuble, dont les accès sont aujourd'hui surveillés par les forces de l'ordre. Matelas, cartons et couvertures sont répartis pêle-mêle sur plusieurs dizaines de mètres dans ce qui ressemble à un camp de réfugiés improvisé en pleine ville.

«Les conditions sont difficiles. Il n'y a même pas de toilettes», souligne M. Sylla, en montrant une fillette de 4 ou 5 ans qui s'amuse, sous un soleil brûlant, avec un ballon d'anniversaire.

Réplique syndicale

La CGT renvoie la responsabilité de la situation aux leaders du groupe d'occupants, en soulignant qu'ils ont refusé de se joindre formellement au mouvement de grève sans jamais expliquer clairement leurs objectifs.

Ce n'est qu'après avoir «tout tenté par le dialogue» que la décision de forcer l'évacuation des sans-papiers a été prise, dit le syndicat, qui accuse certains occupants d'avoir mis le feu aux poudres la semaine dernière en lançant «tout ce qui leur tombait sous la main» sur les militants chargés de l'évacuation.

Ironiquement, l'intervention de la CGT pourrait aider à faire débloquer le dossier, puisqu'elle a redonné de la visibilité aux occupants de la Bourse du travail. Un représentant du préfet est venu la semaine dernière rencontrer les porte-parole du groupe, qui réclament un assouplissement des critères considérés pour la régularisation.

«Tout ce qu'on veut, c'est le papier pour pouvoir vivre en paix en France», répète M. Sylla.