Replongez-vous un instant dans la guerre du Viêtnam.

Au matin du 16 mars 1968, il y a très exactement 50 ans, les habitants du village de My Lai, dans le sud du pays, préparent leur petit-déjeuner. Il n'y a que des femmes, des vieillards et des enfants. Pas de soldats. Ni de Viêt-công. Seulement des civils sur lesquels une centaine de soldats américains ouvrent le feu.

Bilan : 504 morts.

Cet épouvantable massacre, dissimulé par l'armée, a été révélé par un journaliste américain, 18 mois plus tard, en novembre 1969.

Le scoop de Seymour Hersh a déclenché une tempête d'indignation dans le monde entier, y compris au Québec. « Le massacre de My Lai a eu des retombées au Viêtnam et aux États-Unis, où il est encore régulièrement étudié », affirme Christopher Goscha, professeur d'histoire à l'UQAM, spécialiste du Viêtnam.

POURQUOI EST-CE ARRIVÉ ?

À l'époque, les dirigeants de la compagnie Charlie de l'armée américaine croyaient que des combattants du Front de libération nationale communiste (Viêt-công) se réfugiaient à My Lai. Ils sont arrivés très tôt le matin en hélicoptère. Mission : « chercher et détruire ».

Mais il n'y avait pas de Viêt-công. Pas un seul. Mais les soldats ont obéi à leur supérieur, le lieutenant William Calley, qui leur a dit de tirer sur tout ce qui bougeait.

Des mères qui tentaient de protéger leurs enfants ont été sauvagement abattues, rapporte-t-on dans les nombreux ouvrages consacrés à ce carnage. Leurs enfants, qui essayaient de s'échapper, ont aussi été massacrés. Les soldats ont violé et mutilé un grand nombre de femmes, détruit le bétail et mis le feu au village.

Pas un seul coup de feu n'a été tiré contre les G.I. par les Vietnamiens.

COMMENT CELA A-T-IL PRIS FIN ?

Le héros de cette horrible histoire de guerre est Hugh Thompson, un pilote d'hélicoptère de l'armée, qui survolait le village de My Lai avec deux hommes d'équipage, pendant le massacre. Au sol, il a vu, ce matin-là, des soldats américains abattre une jeune Vietnamienne blessée. Thompson a posé son hélicoptère et compris que la compagnie Charlie se livrait à un indescriptible carnage.

Il a demandé à des soldats de la compagnie Charlie de l'aider à transporter des blessés. Mais ces derniers, au lieu d'obtempérer, ont continué à mitrailler des civils. M. Thompson a alors posé son hélicoptère devant les G.I. et ordonné à ses deux hommes d'équipage de tirer s'ils n'arrêtaient pas leur massacre.

Avec l'aide des pilotes de deux autres hélicoptères, il a réussi à évacuer 12 Vietnamiens blessés.

« Partout où nous regardions, il y avait des corps. Des bébés, des enfants de 2, 3, 4, 5 ans, des femmes, des hommes très âgés, pas de personnes en âge de les ramasser », a-t-il déclaré en 1994, lors d'une conférence sur le massacre de My Lai à l'Université de Tulane, à La Nouvelle-Orléans.

Parmi les 504 victimes, il y avait 182 femmes, dont 17 enceintes, et 173 enfants.

Hugh Thompson a été décoré 30 ans plus tard.

COMMENT CE MASSACRE A-T-IL ÉTÉ RENDU PUBLIC AUX ÉTATS-UNIS ?

Le soldat Ron Ridenhour a joué un rôle crucial. Pendant plusieurs mois, les officiers de la compagnie Charlie ont tenté de camoufler ce massacre. Ridenhour, qui en avait entendu parler, a voulu faire la lumière sur cette horreur.

Il a écrit des lettres au président Richard M. Nixon, au Pentagone, au département d'État, aux chefs d'état-major interarmées et à plusieurs membres du Congrès, avant de finalement accorder une entrevue au journaliste américain Seymour Hersh, qui a été récompensé d'un très prestigieux prix Pulitzer l'année suivante.

Résultat : à la suite de la publication de l'enquête, l'armée a ordonné une enquête spéciale.

Le lieutenant-général William Peers a publié son rapport en mars 1970 et recommandé que 28 officiers soient accusés d'avoir participé à cette tuerie.

QUI A PAYÉ POUR CES CRIMES ?

L'armée n'a accusé que 14 hommes, dont le lieutenant William Calley, le capitaine Ernest Medina et le colonel Oran Henderson.

Tous ont été acquittés, sauf Calley, qui a été reconnu coupable de meurtre avec préméditation pour avoir ordonné les tirs, même s'il a prétendu n'avoir fait que suivre les ordres de son supérieur, le capitaine Medina.

Le 29 mars 1971, Calley a été condamné à la prison à perpétuité, mais sa peine a été réduite en appel à 20 ans, et plus tard à 10 ans. Il a été libéré en 1974, au bout de trois ans.

« Il ne se passe pas un jour sans que je ressente des remords pour ce qui s'est passé ce jour-là à My Lai », a-t-il dit plus de 40 ans plus tard devant les membres du Club des Kiwanis de Columbus, en Géorgie.

QUEL A ÉTÉ L'IMPACT DE CET ÉVÉNEMENT ?

Au début des années 70, le moral des troupes américaines au Viêtnam était au plus bas, et la colère et la frustration étaient élevées. L'usage de drogues parmi les soldats était aussi de plus en plus répandu.

Les révélations du massacre de My Lai ont fait chuter encore plus le moral des troupes. Les G.I. se sont demandé quelles autres atrocités dissimulaient leurs supérieurs.

Aux États-Unis, la brutalité du massacre de My Lai et les efforts déployés par les officiers pour le cacher ont exacerbé le sentiment anti-guerre et nourri le ressentiment face à la présence militaire américaine au Viêtnam.

Au Canada, les gens étaient déjà opposés à cette guerre, rappelle le professeur de l'UQAM Christopher Goscha.

« Le gouvernement avait refusé de collaborer avec les États-Unis. Et l'opinion publique était hostile à l'intervention américaine. Mais ce massacre a fait croître l'hostilité à l'endroit de cette guerre et prouvé hors de tout doute que ce n'était pas une bonne guerre. »