Le pape François a utilisé vendredi pour la première fois de son voyage en Asie le mot « Rohingya », suite à une rencontre au Bangladesh avec 16 de ces réfugiés chassés de Birmanie.

« La présence de Dieu aujourd'hui s'appelle aussi Rohingya », a déclaré publiquement le pape, à l'issue de cette rencontre.

D'une grande prudence verbale lors de sa visite en Birmanie sur l'exode forcé des Rohingya, le souverain pontife a écouté avec gravité les 16 membres de trois familles de réfugiés rohingya en provenance du plus grand camp de réfugiés de la planète.

« Votre tragédie est très dure, très grande, mais a une place dans notre coeur », a souligné le pape.

« Pour ceux qui vous ont fait du mal, en particulier dans l'indifférence du monde, je vous demande pardon », a-t-il lancé.

« Une tradition de votre religion dit que Dieu au début a pris un peu de sel et l'a jeté dans l'eau qui est l'âme de tous les hommes », a commenté le souverain pontife.

« Chacun de nous porte en lui un peu du sel divin. Ces frères et soeurs portent en eux le sel de Dieu », a ajouté le pape, fustigeant « l'égoïsme » du monde.

« Continuons à faire le bien et à les aider, continuons à agir pour que leurs droits soient reconnus », a-t-il plaidé.

« Ne fermons pas nos coeurs, ne regardons pas dans l'autre direction. La présence de Dieu aujourd'hui s'appelle aussi Rohingya », a-t-il enfin dit.

Partisan d'une diplomatie pour « créer des ponts » lorsqu'il se déplace à l'étranger, il n'a jamais mâché ses mots depuis le Vatican sur le sort des Rohingya, y compris en amont de la marée humaine de plus de 620 000 réfugiés qui a afflué au Bangladesh ces trois derniers mois.

En Birmanie pendant quatre jours, le pape François a appelé les bouddhistes birmans « à dépasser toutes les formes d'intolérance, de préjugé et de haine » en évitant toutefois de mentionner directement le sort de la minorité musulmane rohingya.

Il n'y a pas non plus prononcé ce mot tabou, alors qu'à Rome il s'était ému publiquement pour ses « frères Rohingya » « torturés et tués ».

Au premier jour de son arrivée à Dacca jeudi, en provenance de Rangoun, l'évêque de Rome avait demandé à la communauté internationale des « mesures décisives » pour régler cette crise humanitaire, notamment une aide d'urgence au Bangladesh.

Accueilli par 100 000 catholiques

Le pape François a été acclamé dans une ambiance simple et festive par 100 000 croyants de la minuscule et désormais inquiète minorité catholique du Bangladesh, avant une rencontre très attendue en fin de journée avec des réfugiés rohingya.

La venue du souverain pontife au Bangladesh est un événement pour la petite communauté de 375 000 catholiques (soit 0,24 % des 160 millions d'habitants), même si tous ne sont pas forcément familiers avec les idées très sociales du « pape des pauvres ».

Une couronne de fleurs autour du cou agrémentant sa soutane blanche, François a tourné en « papamobile » autour du grand parc où avaient convergé les fidèles, certains venus dès le petit matin en longues files pour passer les portiques et fouilles de sécurité. Quelque 4000 policiers avaient été déployés pour surveiller les lieux.

« Viva il papa », ont scandé les croyants au passage du pape argentin juché sur un véhicule ouvert spécialement fabriqué pour sa visite.

La majorité des fidèles, en habits colorés et assis à même le sol sur des bâches, est venue de l'énorme agglomération embouteillée de Dacca. Certains ont cependant afflué des quatre coins du pays.

Les étapes du voyage de trois jours du pape au Bangladesh ont été grandement financées par des dons de la communauté, souvent issue des classes moyennes modestes.

« Je sais que vous êtes venus de loin, faisant parfois plus de deux jours de route. Merci pour votre générosité ! », a lancé le chef de l'Église catholique, au milieu d'une messe centrée sur l'ordination de 16 nouveaux prêtres dans un pays qui en compte moins de 400.

« Continuez à aller de l'avant ! », a-t-il encouragé sous un auvent constitué d'une simple paillote.

À la tête du 1,3 milliard de catholiques dans le monde, le pape aime encourager les petites communautés des « périphéries de la planète » qui ont souvent une foi plus fervente que dans la vieille Europe en pleine sécularisation. Cette visite papale est la première au Bangladesh depuis Jean-Paul II en 1986.

« J'ai été très heureux de le voir aujourd'hui », a commenté après la messe Pormod Barikder, un catholique de 70 ans.

« J'ai prié aujourd'hui pour que mon fils marié depuis quatre ans ait un enfant. Le pape est un personnage saint. J'espère que Dieu répondra à mes prières », a-t-il confié à l'AFP.

Extrémisme islamique 

Sarala Murmu, une femme de 66 ans de la tribu santal, a elle fait le déplacement depuis la ville de Panchagarh, dans l'extrême nord du Bangladesh.

« Nous espérons que le pape priera pour l'harmonie entre toutes les croyances et que nous n'ayons pas à faire face à une répression », a-t-elle déclaré.

Des dizaines de maisons de Santals, l'une des communautés les plus pauvres du Bangladesh, ont été incendiées l'année dernière, actes pour lesquels ils suspectent leurs voisins musulmans.

Au Bangladesh majoritairement musulman, les 600 000 chrétiens du pays s'inquiètent désormais de leur avenir face à une montée de l'extrémisme islamique contre les minorités religieuses.

« Je n'aime pas cela mais nos églises sont gardées 24 heures sur 24 depuis trois ans », rapporte l'unique cardinal du pays, Patrick D'Rozario, également archevêque de Dacca.

Pratiquante, Nirupma Howlader conseille aux jeunes de quitter le pays. « J'habite dans un quartier catholique entouré de caméras de surveillance. Dans les campagnes plus isolées, les croyants on peur, un sentiment récent », décrit-elle.

Le christianisme est une religion relativement nouvelle dans ce sous-continent indien qui a vu naître l'hindouisme et le bouddhisme. Il n'est arrivé sur le territoire de l'actuel Bangladesh qu'au XVIe siècle, apporté par des marchands portugais.

Exode des Rohingya

Autre événement très attendu de la journée, la rencontre de Jorge Bergoglio avec 16 réfugiés rohingya - même si elle sera beaucoup plus confidentielle - en marge d'une rencontre interreligieuse et oecuménique à 17 h (5 h, HE) à Dacca.

À l'AFP, qui les a rencontrés dans les camps avant leur départ pour la capitale sous escorte policière, certains de ces Rohingya ont relaté les espoirs qu'ils placent dans cet entretien avec le leader catholique.

« Je suis sûr que lorsque nous le rencontrerons en face à face, il sera à même d'apaiser nos peurs et nos doutes », estime Abul Fayaz.

Pour sa part, Mohammas Yunus compte lui dire qu'« en Birmanie, ils nous tuaient et nous torturaient. Ils nous traitent de façon inhumaine. Nous avons quitté nos biens, notre terre et nos maisons ».

L'exode de cette minorité musulmane de Birmanie constitue la toile de fond dramatique du voyage en Asie du pape.

Dès son arrivée à Dacca jeudi, en provenance de Rangoun, il a demandé à la communauté internationale des « mesures décisives » pour régler la crise des Rohingya, sortant d'un silence très diplomatique mais très critiqué, observé en Birmanie.

PHOTO VINCENZO PINTO, AGENCE FRANCE PRESSE

Une couronne de fleurs autour du cou agrémentant sa soutane blanche, François a tourné en « papamobile » autour du grand parc où avaient convergé les fidèles, certains venus dès le petit matin en longues files pour passer les portiques et fouilles de sécurité.