L'ex-secrétaire général de l'ONU Ban Ki-moon a renoncé mercredi à briguer la présidence sud-coréenne après s'être montré incapable de troquer son prestigieux costume de diplomate pour un habit de candidat crédible en prise avec la réalité de ses concitoyens.

Le haut fonctionnaire de 72 ans était rentré en janvier après huit ans passés à la tête du secrétariat général de l'ONU.

De nombreux observateurs lui prêtaient depuis longtemps l'ambition de postuler à la fonction suprême. Mais il n'avait jamais avoué ses intentions.

«Je vais me retirer de la vie politique», a-t-il tranché mercredi lors d'une conférence de presse organisée à la hâte. «Je vais renoncer à mon intention pure d'apporter du changement politique et d'unifier mon pays.»

«Je suis désolé de décevoir de nombreuses personnes», a-t-il ajouté.

Bien qu'il ne se soit jamais déclaré candidat, M. Ban a participé à de nombreux déplacements publics qui ont semblé préfigurer une candidature pour le parti conservateur Saenuri de la présidente destituée Park Geun-Hye, ou pour une faction conservatrice dissidente.

La Corée du Sud traverse une grave crise politique depuis plusieurs mois, marquée par la destitution début décembre de la présidente, rattrapée par un retentissant scandale de corruption et de trafic d'influence.

Mardi encore, M. Ban préconisait d'amender la Constitution pour réduire les pouvoirs du chef de l'Etat et permettre une gouvernance plus collégiale du pays.

Artisan de son échec

Mais l'ex-secrétaire général de l'ONU n'est pas parvenu à s'assurer du soutien indispensable d'un parti et son image a été écornée par des accusations de corruption contre certains proches.

«J'ai été très déçu par l'esprit de clocher et l'égoïsme de certains hommes politiques», a-t-il dit. «J'en suis arrivé à la conclusion qu'il ne servirait à rien de travailler avec eux.»

«Mon patriotisme et mes aspirations ont été les victimes de calomnies qui ont relevé du massacre de personnalité», a-t-il déploré, avant de s'incliner en signe de respect, de ranger ses papiers et de s'en aller.

Mais certains analystes estiment que M. Ban est peut-être aussi le propre artisan de son échec, incapable de redescendre de son éminente fonction internationale ou d'apparaître en prise avec les réalités de ses compatriotes.

Ainsi cette photo où on le voit essayer d'introduire en même temps deux billets de banque dans un distributeur automatique de titres de transport. Ou encore ce cliché où il apparaît bien protégé d'un tablier lui couvrant tout le buste et les jambes et tentant de donner à manger à la cuillère à une personne âgée allongée sur le dos.

Il a essuyé un déluge de sarcasmes quand il a testé dans une ferme un pulvérisateur, vêtu de pied en cap d'une combinaison alors que personne autour de lui ne portait une telle protection.

Sa cote de popularité a dégringolé ces dernières semaines. Un sondage le créditait récemment de 13,1% d'opinions favorables, contre 20,3% à son retour.

Diplomate de carrière, Ban Ki-moon n'a jamais été encarté politiquement dans son pays, bien qu'il fut de 2004 à 2006 le ministre des Affaires étrangères du président libéral Roh Moo-Hyun.

Pour le politologue Park Kie-Duck, ancien chef de l'Institut Sejong, M. Ban «n'est pas parvenu à projeter une image de chef doté d'une vision et d'un projet politique concret».

«Sans machine politique pour le soutenir, son aura d'ancien secrétaire général de l'ONU s'est rapidement envolée», a-t-il dit à l'AFP.

«En tant que diplomate de carrière, il n'a pas supporté la rudesse de la vie politique locale.»

La présidentielle sud-coréenne est sur le papier prévue avant fin 2017.

Elle pourrait cependant intervenir très prochainement si la Cour constitutionnelle entérine la destitution de la présidente votée par le Parlement. Une élection devrait le cas échéant être organisée dans les 60 jours suivant une telle décision.

Mme Park est accusée de collusion avec son ancienne confidente Choi Soon-Sil, jugée pour avoir notamment extorqué des dizaines de millions de dollars aux grands conglomérats du pays.

Une ambition présidentielle avortée

(Jung Ha-Won, Séoul)  - Surnommé en Corée du Sud «anguille glissante» pour sa capacité à esquiver les questions gênantes, l'ex-secrétaire général de l'ONU Ban Ki-moon fut un diplomate chevronné. Mais à domicile, ses ambitions présidentielles ont abruptement tourné court.

Né en 1944 dans le petit village d'Eumseong dans un pays alors occupé par le Japon, M. Ban a grandi sur les cendres de la guerre de Corée (1950-53) qui a ravagé la nation.

C'est durant ce conflit qu'il vit pour la première fois le drapeau de l'organisation qu'il servirait un jour, sur les uniformes des soldats américains qui distribuaient des colis alimentaires à sa famille. Plus tard, il se décrivit comme un «enfant de l'ONU».

C'était un adolescent studieux qui aimait lire en anglais, ce qui lui avait permis de remporter une bourse pour visiter les Etats-Unis, à l'âge de 17 ans. Il avait alors rencontré le président John F. Kennedy et c'est ce voyage qui l'avait inspiré à devenir diplomate, avait-il raconté au Financial Times en 2015.

«Je me souviens que le président Kennedy nous avait dit: 'bien que les gouvernements ne s'entendent pas, vous les jeunes pouvez être bons amis, il n'y a pas de frontières nationales'».

Devenu diplomate une dizaine d'années plus tard, il a rapidement gravi les échelons, traitant de questions comme les négociations nucléaires avec la Corée du Nord ou la défection de Hwang Jang-Yop en 1997, le Nord-Coréen le plus notable à être passé de l'autre côté, ayant fait office de tuteur idéologique du dirigeant nord-coréen d'alors, Kim Jong-Il.

M. Ban est devenu ministre des Affaires étrangères en 2004, jouant un rôle clé dans les discussions à six sur la dénucléarisation de la Corée du Nord et dans la politique de réconciliation avec Pyongyang, dite «diplomatie du soleil».

Il est arrivé à la tête de l'ONU le 1er janvier 2007 et sa discrétion tranchait singulièrement avec le charisme de son prédécesseur Kofi Annan.

Ses critiques lui reprochaient de ne pas savoir communiquer et le New York Times a jugé un jour son mandat «largement invisible et décevant».

Mais son travail sur des questions comme le changement climatique et l'égalité des droits -- M. Ban avait appelé inlassablement les gouvernements conservateurs de la planète à s'abstenir de discriminations en fonction de l'orientation sexuelle -- fut remarqué.

«Catégorie B»

«J'ai grandi il y a longtemps dans une Corée profondément conservatrice (...) alors ces plaidoiries ne me sont pas venues naturellement», avait-il dit l'année dernière. «Mais quand j'ai vu que des vies étaient en jeu, je n'ai pu me taire».

Richard Gowan, spécialiste de l'ONU au Conseil européen des relations internationales, a déclaré au magazine Foreign Policy magazine: «On l'aurait probablement classé comme secrétaire général de catégorie C. À cause du changement climatique, on se souviendra de lui comme d'un secrétaire général de catégorie B».

Pendant son second mandat, M. Ban a retrouvé un certain lustre, cherchant à obtenir des négociations sur les droits de l'Homme dans des situations de crise comme en Syrie.

Sa dernière année de mandat a toutefois été marquée par une controverse sur le retrait d'une liste noire de l'ONU de ceux qui ne respectent pas les droits des enfants de la coalition montée par Riyad au Yémen. Les défenseurs des droits l'avaient accusé de «faillite morale».

A son retour chez lui à 72 ans, ses ambitions présidentielles se sont effritées, avec une rapidité quasi embarrassante.

La Corée du Sud est empêtrée dans un retentissant scandale dans lequel la présidente Park Geun-Hye a été destituée. Elle est accusée de collusion avec une amie elle-même jugée pour corruption.

L'émotion avait été vive en Corée du Sud lorsque Ban Ki-moon est devenu le premier Sud-Coréen patron de l'ONU, ses soutiens saluant un «président du monde».

Mais en 2017, l'opinion l'a vu comme un conservateur ayant partie lié avec la présidente destituée. De nombreux jeunes sud-coréens ont vu un personnage indécis, à qui fait défaut la passion pour gouverner le pays.