La victoire électorale écrasante du parti de l'opposante birmane Aung San Suu Kyi a été enfin annoncée vendredi, propulsant au pouvoir celle qui a passé près de 30 ans à lutter contre la junte militaire puis ses héritiers.

Cinq ans jour pour jour après sa libération de résidence surveillée, l'opposante se retrouve en position de répondre aux espoirs de millions de ses concitoyens, après des décennies de répression et d'asphyxie de l'économie par un régime paranoïaque.

L'étau avait déjà commencé à se desserrer depuis l'autodissolution de la junte en 2011. Ses héritiers aujourd'hui encore aux commandes ont promis de jouer le jeu du passage de relais.

Vendredi, cinq jours après le vote, le seuil qui permet à la Ligue nationale pour la démocratie (LND) d'être majoritaire dans les deux chambres, malgré la présence d'un quart de députés militaires non élus, a enfin été atteint.

D'après les derniers résultats de la commission électorale, qui n'a pas encore terminé le décompte, la LND a déjà remporté 364 sièges sur 491.

Ce raz-de-marée pour le parti de Suu Kyi - avec plus de 80 % des suffrages - ne laisse que des miettes à ses adversaires, notamment le parti au pouvoir, l'USDP.

Depuis le vote, Aung San Suu Kyi s'est peu exprimée, apparaissant uniquement lundi matin pour demander à ses partisans de rester calmes jusqu'aux résultats définitifs.

Des consignes respectées malgré l'émotion suscitée par ces élections.

Pour ne pas froisser les ex-généraux au pouvoir depuis l'autodissolution de la junte, la «Dame de Rangoun» a choisi de faire profil bas.

«Cela fait de nombreuses années que nous sommes prêts à former un gouvernement», a réagi auprès de l'AFP le porte-parole de la LND Nyan Win, qui s'est félicité des derniers résultats.

«Nous avons demandé l'ouverture d'un dialogue. Ce n'est qu'après ces rencontres que les choses pourront avancer», a-t-il ajouté.

Aung San Suu Kyi a en effet appelé à des discussions de réconciliation nationale et elle se rendra lundi à Naypyidaw, la capitale administrative, pour la reprise de la session du Parlement sortant, occasion de négociations en coulisses.

Négociations

La prix Nobel de la paix 1991 se retrouve, pour la première fois, en position de force face à ceux qui l'ont maintenue 15 ans en résidence surveillée.

Mais elle ne pourra pas toutefois devenir présidente en raison d'une Constitution taillée sur mesure contre elle par la junte, qui interdit à toute personne ayant des enfants étrangers de se présenter - les siens ont la nationalité britannique.

Elle a toutefois déjà prévenu, sans fournir de précisions, qu'elle avait «un plan» et qu'elle serait «au-dessus du président».

Les héritiers de l'ancien régime restent une force politique cruciale dans le pays grâce aux 25 % de députés militaires. Mais aussi parce que le chef de l'armée a le pouvoir de nommer certains ministres clés comme celui de l'Intérieur et de la Défense.

Pour cette période de transition, elle devra s'attacher à «garder tout le monde à bord» et donc être diplomate avec les militaires, estime l'analyste Richard Horsey malgré un «Parlement dominé par la LND».

La réaction de l'armée à une écrasante victoire était l'un des principaux motifs d'inquiétude, Aung San Suu Kyi ayant promis de détricoter un système donnant aux militaires un pouvoir politique considérable.

Même la puissante armée birmane s'est dite prête à «coopérer» et le président Thein Sein a félicité Aung San Suu Kyi pour «avoir remporté l'approbation du peuple» lors des premières élections libres depuis 25 ans.

Une victoire également saluée à l'étranger par de nombreux chefs d'État. Le président américain Barack Obama, qui a par deux fois lors de voyages officiels en Birmanie rencontré Aung San Suu Kyi, a «salué les efforts et les sacrifices constants» de l'opposante, qui n'a pas pu voir grandir ses deux fils, restés en Angleterre avec leur père.

Une fois l'euphorie de la victoire retombée, la partie sera néanmoins serrée, en raison du poids politique et économique des militaires.

Le secrétaire général de l'ONU Ban Ki-moon, qui l'a félicitée, a également loué «le courage et la vision» du président Thein Sein pour avoir mené des réformes depuis quatre ans, malgré des signes de crispations comme l'arrestation d'étudiants récemment.

Mais il a aussi prévenu qu'il restait «beaucoup de travail» pour faire de la Birmanie une démocratie.

Pékin ne félicite pas Aung San Suu Kyi

La Chine a salué vendredi la «réussite» des élections en Birmanie, tout en évitant soigneusement de féliciter nommément l'opposante birmane Aung San Suu Kyi pour sa victoire écrasante, le changement politique en cours à Rangoun étant à même de tendre les relations avec Pékin.

Les autorités chinoises ont pendant des décennies apporté un soutien quasi constant à la junte militaire birmane, massivement rejetée par les électeurs du pays dimanche dernier.

«La Chine salue la conclusion et la réussite du processus électoral», a déclaré le ministre chinois des Affaires étrangères Wang Yi, cité au discours indirect dans un communiqué diffusé vendredi.

«La Chine va continuer à élargir son assistance et poursuivre son amitié et sa coopération tous azimuts (avec la Birmanie) avec bénéfices mutuels pour les deux parties», a déclaré de son côté Hong Lei, porte-parole de la diplomatie chinoise, après la confirmation des résultats électoraux.

Interrogé lors d'un point presse régulier sur d'éventuelles félicitations ultérieures de Pékin à Aung San Suu Kyi, le porte-parole n'a pas répondu directement.

«Nous espérons sincèrement que la Birmanie jouisse de la stabilité politique et qu'elle puisse réaliser son développement national», a-t-il ajouté.

La Chine a été l'un des principaux soutiens de l'autoritaire junte birmane