Pendant des années, les murs de la mégalopole pakistanaise Karachi ont été tatoués de sombres graffitis faisant l'apologie des violences communautaires. Aujourd'hui, des graffiteurs se les réapproprient pour injecter un souffle artistique nouveau dans une ville souvent associée à la violence et au chaos urbains.

La capitale économique du Pakistan a été le théâtre ces dernières années d'une vague d'assassinats sans précédent, nourrie par les rivalités politiques, économiques et ethniques pour le contrôle du territoire et par l'argent de l'extorsion mafieuse.

Cette image calamiteuse et le regard parfois désabusé que les habitants portent sur leur monstre urbain de 20 millions d'habitants, de jeunes artistes locaux sont bien décidés à les changer avec un projet : «Imaginons à nouveau les murs de Karachi».

«Nous travaillons ensemble pour reprendre la ville, en nous réappropriant ses murs inondés de graffitis de haine», explique Norayya Shaikh Nabi, en dessinant un croquis de Karachi sur un mur empoussiéré, le long d'une artère bruyante.

Ce professeur d'art plastique à l'École d'art et d'architecture de la vallée de l'Indus est l'un des 200 peintres, artisans et ouvriers impliqués dans cet ambitieux dessein : repeindre les murs de 1600 places publiques de la mégalopole.

PHOTO ASIF HASSAN, AFP

Un projet mené tambour battant par l'organisation caritative «I am Karachi» (Je suis Karachi) et financé par l'agence de développement américaine USAID, très active dans ce pays instable qui figure en bonne place sur la liste des priorités sécuritaires de Washington.

Des galeries au «street art»

Le Pakistan compte de nombreux jeunes artistes très créatifs, qui exposent dans des galeries privées fréquentées par la haute société. Mais hors de ces cercles d'initiés, point ou peu de salut.

D'où l'intérêt de sortir l'art pour le faire vivre sous le regard des millions de passants dans les rues de Karachi, souligne Munawar Ali Syed, qui mène l'équipe des tagueurs.

«C'est important pour la société de rester en contact avec l'art et la musique, qui sont malheureusement en déclin dans notre culture», dit celui qui veut désormais transposer dans la rue cet art qu'il expose depuis 17 ans dans les galeries.

Sous son regard avisé, des artistes utilisent des pochoirs pour orner les murs de Karachi de dessins de garçons voguant dans le ciel sur des cerfs-volants, de courses d'ânes, de représentations de la vie rurale traditionnelle du sud du Pakistan...

Ailleurs s'érigent des peintures flamboyantes d'éléphants et de paons aux traits rappelant le «truck art», graphisme inspiré du style baroque qui orne les camions du pays, parfois de véritables toiles en mouvement, soulignées de couleurs vives et de pompons kitchs.

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Pour pérenniser leur mouvement naissant, les peintres urbains d'«Imaginons à nouveau les murs de Karachi» ont déjà intégré des enfants à leur équipe. «Lorsqu'ils grandiront, ils se sentiront plus à l'aise pour travailler pour le bien commun de la ville. C'est un peu comme si nous plantions aujourd'hui un arbre pour la génération future», souligne Munawar.

Car au-delà de l'effet de surprise provoqué par les graffitis et de la transformation de l'espace public, les porteurs du projet espèrent à long terme contribuer à installer un climat propre à adoucir les moeurs et éloigner les violences.

Optimiste naïf pour les uns, mais rafraichissant pour les autres, Munawar demeure confiant : «Je crois que ce projet donnera de bons résultats à long terme. Car lorsque l'environnement qui vous entoure est positif, votre comportement devient positif et des changements importants s'opèrent dans votre vie».

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