Q: Pourquoi les talibans pakistanais ont-ils lancé cette attaque terroriste contre une école de Peshawar?

R: La façon simple est d'y voir une attaque de représailles contre les opérations militaires pakistanaises dans les régions tribales du nord-ouest du pays. «Mais rien au Pakistan n'est simple», rappelle Christian Leuprecht, professeur agrégé de science politique au Collège militaire royal du Canada et à l'Université Queen's.

Les talibans pakistanais, qui vivent dans la région du Waziristan du Nord, sont en conflit avec le gouvernement central. «Cette région est éloignée de la capitale, la géographie rend les déplacements difficiles, dit M. Leuprecht en entrevue téléphonique. Les gens ne s'identifient pas avec l'État pakistanais, et l'armée y est souvent perçue comme une force d'occupation, de colonisation. C'est une comparaison très limitée et très imparfaite, mais c'est un peu comme si le gouvernement fédéral canadien essayait de résoudre les demandes d'autonomie politique, sociale, économique et culturelle du Québec en utilisant les forces armées canadiennes. Les forces armées ont une mauvaise réputation, et la police a une réputation pire encore.»

L'école attaquée est considérée comme une école de l'élite, où vont les enfants des officiers et des généraux de l'armée, dit-il. «C'est un système basé sur l'hérédité du privilège. L'armée a créé des cités où vivent leurs familles isolées du reste de la société, en paix et en sécurité. C'est aussi symbolique de s'attaquer aux institutions qui représentent le privilège militaire.»

Q: Les talibans afghans sont-ils à l'origine de l'attaque?

R: Non. Même si les talibans afghans ont revendiqué bon nombre d'attaques terroristes contre des écoles et des élèves en Afghanistan, ils ont condamné l'attaque de Peshawar, hier, affirmant que «l'assassinat intentionnel d'innocents, d'enfants et de femmes, va contre les enseignements de l'Islam». Les talibans afghans et les talibans pakistanais sont deux groupes distincts, mais qui ont pour but commun de renverser leur gouvernement respectif pour établir un État islamique.

Q: Peut-on s'attendre à ce que l'attaque terroriste ait des répercussions sur le rôle de l'armée pakistanaise?

R: L'armée est indissociable de l'État au Pakistan, note Christian Leuprecht. «L'armée a aussi un pouvoir économique solidement ancré et bénéficie du statu quo. Et c'est la seule institution au pays qui fonctionne, qui a des capacités institutionnelles et qui a un certain respect de la part de la population générale.»

Ce que l'attaque montre surtout, c'est que l'État pakistanais ne pourra pas résoudre le problème en utilisant la violence. «Il n'y a pas de solution militaire. Les talibans vont toujours riposter. L'élite pakistanaise le sait, mais elle n'est pas prête à partager le pouvoir, à partager les privilèges. S'ils le font avec les talibans, ils seront obligés de le faire avec les autres régions du Pakistan. L'Occident, lui, est nerveux de voir que des groupes terroristes pourraient un jour contrôler le Pakistan et mettre la main sur ses armes atomiques. C'est pourquoi les États-Unis soutiennent financièrement le gouvernement du Pakistan, malgré ses imperfections.»

Q: L'attaque terroriste marginalisera-t-elle les talibans pakistanais?

R: C'est possible, explique en entrevue Graeme Smith, analyste pour l'International Crisis Group basé à Kaboul, en Afghanistan, et auteur du livre The Dogs Are Eating Them Now.

«Cette attaque survient à un moment politique délicat au Pakistan, alors que le gouvernement civil commençait à se dissocier publiquement des volontés exprimées par les services de renseignement et l'armée. Les élus sont moins enclins à appuyer certains groupes militants, alors que les membres des forces de sécurité voient des avantages à maintenir ces liens. Cet événement terrible pourrait changer la façon dont le Pakistan gère sa relation avec les groupes, possiblement en encourageant les élites pakistanaises à voir les talibans moins comme des alliés potentiels et davantage comme une menace imminente.»

Jason Burke, un journaliste et essayiste anglais qui a séjourné plusieurs fois dans la région, note que l'armée pakistanaise a longtemps été réticente à l'idée de lancer une offensive dans le Waziristan du Nord pour des raisons géostratégiques.

La zone sert depuis des années de base arrière à des talibans afghans, que l'armée pakistanaise utilise pour peser sur Kaboul et contrer l'influence de l'Inde en Afghanistan. «Ils ne voulaient pas perdre certains de leurs meilleurs atouts», souligne-t-il.

Pour Christian Leuprecht, ce sont les fondations mêmes de la politique de défense du Pakistan qui sont remises en cause. «Le Pakistan a toujours utilisé les menaces extérieures pour justifier son imposant appareil de sécurité. Aujourd'hui, c'est l'imaginaire construit de la politique pakistanaise de défense qui s'écroule.»

Q: Est-ce que cette attaque aura un impact sur les relations entre l'Afghanistan et le Pakistan?

R: «L'Afghanistan et le Pakistan cherchent à trouver des terrains d'entente dans leur combat commun contre les insurgés, combat qui se déroule le long de leur frontière commune, explique Graeme Smith. Cette tragédie survient alors que d'intenses tractations diplomatiques ont lieu entre les deux pays et cela vient souligner le fait que ces pourparlers sont littéralement une question de vie ou de mort.»