Le chef de la junte militaire au pouvoir en Thaïlande a créé la polémique cette semaine en caressant la tête d'un journaliste durant une mêlée de presse. Son geste a été décrit comme une nouvelle illustration de la dérive autoritaire du régime, qui continue de promettre le rétablissement de la démocratie tout en multipliant les mesures répressives.

La junte militaire qui a pris le pouvoir en Thaïlande en mai et imposé la loi martiale tente de réprimer toute forme de contestation dans le pays, allant jusqu'à évoquer des prétextes comme la possession de... sandwichs pour justifier ses interventions musclées.

«Leur lutte contre la liberté d'expression est totale et complète. En comparaison, le gouvernement chinois semble progressiste», ironise en entrevue le directeur pour l'Asie de l'organisation Human Rights Watch, Brad Adams.

«Ils cherchent à taper sur toutes les formes de protestation. Cela oblige les opposants à faire preuve de créativité», relève-t-il.

Durant l'été, de jeunes contestataires ont suscité l'ire de la junte en organisant à proximité d'un centre commercial un «pique-nique» pour contourner l'interdiction de manifester. Un jeune Thaï a été appréhendé alors qu'il commençait à manger un sandwich. Selon la BBC, six autres personnes ont été arrêtées parce qu'elles avaient aussi en leur possession des sandwichs témoignant de leur volonté de participer à une activité subversive.

Trois doigts dressés

Certains opposants ont recours à un geste de protestation silencieux inspiré du film Hunger Games qui se fait en dressant trois doigts.

Cette semaine, une demi-douzaine d'étudiants ont été appréhendés pour avoir utilisé ce symbole à l'occasion du lancement du film, centré sur les actions d'opposants à un régime totalitaire. Deux autres ont été arrêtés jeudi dans des circonstances similaires, suscitant l'indignation des Nations unies.

«Cette affaire est la dernière illustration d'une tendance inquiétante aux violations des droits de l'homme, qui a pour effet d'étouffer les voix critiques», a déclaré à l'Agence France-Presse Matilda Bogner, la représentante du Haut-Commissariat aux droits de l'homme.

Le chef de la junte militaire, le général Prayut Chan-O-Cha, a indiqué vendredi qu'il ne craignait pas ce type de protestation. Il a déconseillé du même souffle aux étudiants d'y recourir, relevant qu'un tel geste «pourrait compromettre leur avenir».

Controverse

L'homme fort du régime a aussi suscité la controverse cette semaine en caressant de la main la tête et l'oreille d'un journaliste agenouillé près de lui durant une mêlée de presse.

Des critiques ont indiqué que le geste semblait témoigner de la condescendance du militaire envers les médias, qui sont sommés d'agir de manière «constructive» tout en évitant de relayer des critiques du régime ou de la loi martiale.

Les médias sociaux sont aussi dans le collimateur des autorités, qui ont fait bloquer plus de 200 sites internet et 500 adresses internet, d'après un rapport produit par la Fédération internationale des droits de l'homme (FIDH).

L'organisation a révélé vendredi que le régime utilisait aussi pour museler l'opposition des accusations de lèse-majesté.

Une quinzaine de personnes se trouvent aujourd'hui en prison pour avoir prétendument «diffamé, insulté ou menacé» la famille royale thaïlandaise, qui conserve un rôle central dans la structure politique et sociale du pays.

«Chasse aux sorcières»

La FIDH, qui dénonce une «chasse aux sorcières», relève que les personnes ont pour la plupart été incarcérées après avoir subi un procès devant une cour militaire dont le verdict ne peut être porté en appel.

Les activistes estiment que des centaines de personnes ont été appréhendées et détenues pendant plusieurs jours sans être accusées par le régime, qui leur impose, selon le vocabulaire officiel, un «ajustement d'attitude».

«Les personnes sont détenues en isolement et soumises à une forte pression pour réviser leur point de vue et s'engager, par écrit, à ne pas faire d'activisme politique», résume Brad Adams.

Les intellectuels et les universitaires sont aussi soumis à de fortes pressions, a indiqué vendredi un militant thaïlandais des droits de l'homme joint à Bangkok. Plusieurs ont décidé de fuir le pays.

«Il n'y a pas de liberté d'expression», a résumé le militant, qui a demandé qu'on taise son nom, par crainte de représailles du régime.

L'homme a indiqué qu'il ne croyait pas du tout à la volonté de la junte d'organiser des élections permettant le retour d'un gouvernement civil d'ici un an et demi. «La plupart des Thaïlandais n'y croient pas», a-t-il relevé.

Les militaires avaient justifié leur prise de pouvoir en mai par la nécessité de ramener le calme dans le pays, qui était secoué par des affrontements fréquents entre les Chemises rouges, partisans de l'ex-premier ministre en exil Thaksin Shinawatra, et le camp des Chemises jaunes, regroupant la classe moyenne, l'aristocratie et les monarchistes.

Les militaires affirment avoir dressé une «feuille de route» devant mener au rétablissement de la démocratie, mais il s'agit d'une «vue de l'esprit» et les détails sont inexistants, souligne M. Adams, de Human Rights Watch.

«Il semble clair qu'ils vont chercher à demeurer au pouvoir le plus longtemps possible», conclut-il.