L'armée thaïlandaise, sous pression pour une levée rapide de la loi martiale, a organisé mercredi une première réunion inédite entre les différents acteurs du conflit politique, pour empêcher qu'il ne dégénère en une autre «Ukraine ou Égypte».

Au lendemain de l'imposition de la loi martiale après sept mois d'une crise meurtrière, le chef de l'armée, le général Prayut Chan-O-Cha, a présidé cette rencontre avec le parti au pouvoir, le principal parti d'opposition, les manifestants des deux camps, le président du Sénat et la Commission électorale.

Les participants ont prévu de se réunir à nouveau jeudi. «Toutes les parties doivent étudier les différentes solutions possibles pour le pays» d'ici là, a indiqué à l'AFP Puchong Nutrawong, secrétaire général de la Commission électorale.

La réunion s'est tenue en l'absence du premier ministre par intérim Niwattumrong Boonsongpaisan, représenté par cinq ministres, invoquant d'autres engagements.

Malgré la loi martiale, les militaires ont laissé officiellement au pouvoir le gouvernement intérimaire, très fragilisé depuis la destitution début mai de la première ministre Yingluck Shinawatra.

Ils ont assuré que cette action, prévue par la Constitution, n'était pas un nouveau putsch dans un pays qui a connu 18 coups d'État ou tentatives en un peu plus de 80 ans.

Mais le gouvernement a été empêché mercredi d'utiliser le secrétariat permanent du ministère de la Défense qui lui servait de QG de crise depuis le début du blocage de son siège par les manifestants il y a plusieurs mois.

Contrôle strict des médias

L'armée a d'autre part imposé un contrôle des médias et des réseaux sociaux, privant notamment d'antenne 14 télévisions et interdisant aux médias de citer tout commentaire politique ne venant pas de responsables officiels.

On ignore la durée d'application de cette loi destinée à faire face à une crise qui a fait 28 morts depuis l'automne. Mais l'armée a laissé entendre qu'elle pourrait durer plusieurs mois.

«Je ne permettrai pas que la Thaïlande soit comme l'Ukraine ou l'Égypte», a prévenu le général Prayut mardi, selon des propos rapportés par un responsable militaire.

La communauté internationale, de l'ONU à l'UE, s'est inquiétée de la situation. «Nous voulons voir un retour rapide d'une démocratie complète en Thaïlande et le respect des institutions démocratiques», a notamment déclaré Danny Russel, secrétaire d'État américain adjoint chargé de l'Asie de l'Est. Les États-Unis, alliés militaires de Bangkok, ont toutefois jugé qu'il ne s'agissait pas d'un coup d'État.

Les défenseurs des droits de l'homme et certains experts ont eux évoqué un putsch de fait. La loi martiale «est en réalité un coup d'État qui menace les droits de l'homme de tous les Thaïlandais», a dénoncé Human Rights Watch.

Le nouveau rôle de médiateur de l'armée a toutefois également été noté.

Si cela débouche sur un compromis, la Thaïlande pourrait sortir de la crise, selon Thitinan Pongsudhirak, de l'Université Chulalongkorn de Bangkok. Mais «s'ils ratent, nous pourrions voir un véritable coup d'État, des manifestations contre les militaires et toutes sortes de scénarios du pire», a-t-il ajouté.

Manifestants des deux camps mobilisés

Depuis le coup d'État de 2006 contre l'ancien premier ministre Thaksin Shinawatra, frère de Yingluck, la Thaïlande vit au rythme des manifestations des masses défavorisées du Nord et du Nord-est, fidèles au milliardaire en exil, et de ses ennemis, proches des élites de Bangkok.

Le dernier épisode avait fait plus de 90 morts et 1900 blessés en 2010 lorsque les Rouges avaient occupé le centre de la capitale pendant deux mois. Et la présence dans la capitale de manifestants des deux camps qui se haïssent fait craindre de nouvelles violences.

Alors que Thaksin ou ses proches ont remporté toutes les législatives depuis 2001, mais ont été plusieurs fois chassés du pouvoir, par l'armée ou la justice, les Rouges, rassemblés dans une banlieue de Bangkok, ont cette fois mis en garde contre une guerre civile en cas de chute du gouvernement.

Les manifestants antigouvernement sont eux aussi toujours mobilisés dans le centre de la capitale.

Ces derniers, qui réclamaient la tête de Yingluck Shinawatra, n'ont pas été satisfaits par sa destitution. Ils réclament la fin du «système Thaksin», qu'ils associent à une corruption généralisée, et la nomination d'un premier ministre «neutre» qu'ils veulent voir désigné par le sénat, en l'absence du Parlement dissous en décembre.

Les opposants au gouvernement ne sont pas non plus rentrés chez eux après l'annonce de la loi martiale. «Nous allons continuer à nous battre», a promis leur leader, Suthep Thaugsuban.

Ils exigent toujours des réformes, non détaillées, avant de nouvelles élections que Niwattumrong a proposé pour le 3 août. Mais les manifestants ont menacé de les perturber, comme ils l'avaient fait pour celles de février, invalidées par la justice.