Prêts immobiliers, financement des études, crédits à la consommation: plus que dans nulle autre économie avancée, l'endettement des ménages est une plaie en Corée du Sud, revers du «miracle» sud-coréen souvent perçu comme un paradigme de croissance dans les pays émergents.

À divers degrés, le surendettement touche des millions de Sud-Coréens, de plus en plus nombreux à connaître la relégation sociale ou à travailler jour et nuit dans l'espoir d'y échapper.

Lee Sang-Kuk livre de la viande pendant la journée. La nuit, il joue les chauffeurs pour hommes d'affaires alcoolisés.

Licencié d'une entreprise de presse en 2000, ce père de famille hypothèque alors sa maison pour ouvrir un restaurant. Deux ans plus tard, il baisse le rideau et se déclare en faillite personnelle.

Il vend sa maison pour solder son prêt, mais souscrit aussitôt un emprunt usuraire auprès d'institutions privées pour financer la scolarité de son fils et de sa fille.

«Depuis, ma vie est misérable», confie-t-il au seuil de la soixantaine, affirmant avoir songé au suicide, une issue aussi dramatique que fréquente en Corée du Sud.

«Tout ce que je gagne sert à rembourser mes dettes, et ma femme travaille comme aide-ménagère pour payer nos dépenses courantes».

L'endettement des ménages sud-coréens atteignait 937 500 milliards de wons (855 milliards de dollars) en septembre 2012, soit plus de 70% du PIB 2011. En France, ce ratio était de 55% en 2011, selon la Banque de France.

Organisations économiques internationales (FMI, OCDE) et agences de notation s'inquiètent régulièrement des défauts de paiement en Corée du Sud en soulignant que les emprunteurs pourraient se retrouver dans une situation catastrophique en cas de grave crise économique et de flambée du chômage.

Le fléau de l'endettement remonte aux réformes introduites après la crise boursière et financière de 1997 qui a contraint les banques sud-coréennes à développer leur activité de détail.

L'emprunt immobilier a enregistré dès lors une expansion foudroyante, nourrie par des taux d'intérêt très bas et le vieil adage selon lequel la pierre est un investissement sûr.

«Alors que les ménages américains ont commencé à apurer leurs dettes, surtout après la crise des prêts à haut risque, la demande des emprunteurs n'a cessé d'augmenter ici en raison de la hausse des prix du logement», analyse un chercheur du Hyundai Economic Research Institute, Lee Jun-Hyup.

«Ça ne met pas gravement en péril le système bancaire, mais évidemment ça a un impact sur la consommation», dit-il.

Portée par une croissance de près de 7% par an en moyenne depuis la fin de la guerre de Corée en 1953, la Corée du Sud connaît depuis quelques années une phase de croissance plus modérée.

Le ralentissement économique a pesé sur l'emploi, fragilisant les foyers dépendants d'un salaire unique: le gouvernement estime à 6 millions le nombre de Sud-Coréens exposés au risque de défaut de paiement, soit plus de 10% de la population.

Parmi eux, trois millions de personnes seraient interdits bancaires ou ne pourraient obtenir de nouvel emprunt pour se remettre à flot.

Les familles avec enfants en âge scolaire doivent en plus supporter le fardeau des cours privés considérés comme une condition à l'entrée à l'université dans ce pays où l'ambition sociale guide en permanence l'action des parents.

Selon Lee Phil-Sang, professeur à la Korea University, la qualité de la dette des ménages se dégrade à cause des indépendants qui représentent près d'un tiers des travailleurs et qui ont des dettes bien plus élevées que les salariés.

«L'endettement des ménages est un cancer. S'il n'est pas maîtrisé, il va devenir un véritable boulet pour l'économie parce que les remboursements se détérioreront rapidement en période de difficulté économique», prévient-il.