Le chef religieux pakistanais Tahir ul-Qadri, dont les partisans occupent Islamabad depuis trois jours, a invité les autres opposants au gouvernement à le rejoindre, maintenant la pression sur le pouvoir déjà mis en difficulté par un mandat d'arrêt contre le Premier ministre.

M. Qadri, rentré en décembre de son exil volontaire au Canada, a lancé cette semaine une «grande marche» de 400 kilomètres en voiture entre sa base de Lahore (est) et la capitale Islamabad pour exiger des réformes urgentes visant à démocratiser la vie politique, à commencer par la dissolution du parlement.

Au moins 25 000 partisans de M. Qadri campent sur l'avenue Jinnah, dans le centre d'Islamabad, une ville peu habituée aux grands rassemblements politiques.

Mercredi, M. Qadri les a invités à poursuivre le mouvement.

«Restez assis, ne bougez pas! Soyez résolus! Votre destin approche. Il y aura bientôt une décision en votre faveur. C'est maintenant ou jamais», leur a-t-il déclaré dans un discours fleuve de trois heures prononcé face à eux, sur une tribune protégée par une vitre pare-balles.

Mercredi soir, le ministre de l'Intérieur Rehman Malik a demandé à M. Qadri et à ses partisans de quitter Islamabad d'ici jeudi, les avertissant que dans le cas contraire, une «opération ciblée» serait lancée pour les disperser. Il a prévenu que cette opération peut être lancée à n'importe qul moment.

Le chef religieux, qui s'est installé au coeur du jeu politique pakistanais depuis son retour du Canada, a invité les partis politiques à le rejoindre, notamment le PTI de l'ancienne star du cricket Imran Khan, le dernier opposant à avoir émergé avant lui et qui dénonce lui aussi la mainmise et la corruption des élites au pouvoir.

Imran Khan avait appelé mardi à la démission du président Asif Ali Zardari, sans toutefois rejoindre les partisans de M. Qadri.

«Imran Khan refuse lui aussi le statu quo. Nous voulons que les personnes qui violent la loi soient emprisonnées», a déclaré M. Qadri, un thème d'actualité car la Cour suprême du Pakistan a ordonné mardi l'arrestation du Premier ministre Raja Ashraf, accusé d'avoir touché des pots-de-vin dans l'octroi de contrats d'électricité alors qu'il était ministre de l'Energie il y a près de cinq ans.

Ces convulsions interviennent à l'approche d'élections nationales, prévues en principe au plus tard à la mi-mai, dans ce pays musulman instable de 180 millions d'habitants abonné au coups d'Etat depuis sa création en 1947.

Les scénarios possibles

Dans cette confusion, les observateurs évoquaient mercredi plusieurs scénarios, du statu quo à une intervention de l'armée en passant par la formation accélérée du gouvernement intérimaire qui doit normalement préparer les élections pendant les 90 jours précédant le scrutin.

«Je pense que le gouvernement va faire comme d'habitude et défier la décision de la Cour», souligne le commentateur politique Anees Jillani, affirmant que le pouvoir sera en grande difficulté si l'opposition rejoint les manifestants.

«Tout est prêt pour un report des élections et la formation d'un gouvernement intérimaire, qui pourrait diriger non pas pendant 90 jours mais sur une longue période», souligne Mutahir Sheikh, professeur à l'université de Karachi.

Le chef du principal parti d'opposition, Nawaz Sharif, a d'ailleurs demandé au gouvernement d'annoncer «sans délai» la date du scrutin et de l'entrée en fonction du gouvernement intérimaire. Il a toutefois refusé de se joindre aux manifestants et d'accorder un rôle à l'armée et à la justice dans la nomination de cette administration.

Une partie de la population anticipe, elle, un nouveau coup d'État de l'armée dans le chaos ambiant. Ce dernier scénario est toutefois écarté par l'analyste Imtiaz Gul comme par Anees Jillani, qui estime que «l'armée agira peut-être en coulisse, mais pas au grand jour».