Acclamée par les foules, saluée par les stars et reçue par les chefs d'État lors d'une tournée triomphale en Europe, l'opposante birmane Aung San Suu Kyi va désormais retrouver la dure réalité de la politique intérieure en retournant à son rôle de simple députée.

Les apparitions avec le chanteur de rock Bono et le dalaï lama ont été immortalisées. Son intervention devant le parlement de Grande-Bretagne est rentrée dans l'Histoire, comme son discours à Oslo de prix Nobel de la paix, 21 ans après en avoir été la lauréate.

Mais dans une semaine, elle pénètrera dans un parlement nettement moins acquis à sa cause, où un quart des sièges sont tenus par des militaires d'active, et où une écrasante majorité des députés restant représentent le Parti de la solidarité et du développement de l'Union, créé par l'ancienne junte.

«Elle est entrée en scène comme une femme politique élue, pour contribuer à guider (le pays) dans ses prochaines étapes vers un avenir sûr, démocratique, juste et prospère», a estimé récemment Derek Mitchell, futur ambassadeur des Etats-Unis à Rangoun, devant des sénateurs américains.

L'accueil de chef d'Etat que lui a réservé l'Europe pendant quinze jours ne changera rien aux rapports de force en Birmanie.

«Elle aura toujours la possibilité de faire des discours et des déclarations (...) et d'essayer d'influencer les choses, mais elle n'aura pas beaucoup d'autorité», estime Trevor Wilson, ex-ambassadeur australien en Birmanie.

«Elle a un rôle de leader de l'opposition et de membre du parlement, elle n'est pas le gouvernement».

Le pouvoir en place «n'était probablement pas très content de voir l'adoration qui lui a été exprimée dans certains endroits», relève-t-il, et il «a clairement essayé de donner l'impression qu'il poursuivait son travail» en son absence.

Comme pour mieux montrer qu'elle n'était pas le chef d'Etat qu'elle aspire à devenir. «Tout chef de parti doit se tenir prêt pour cette possibilité s'il croit vraiment au processus démocratique», a en effet déclaré la députée à l'AFP avant de quitter Paris.

«Ce sont encore (les militaires) les plus forts, mais au final c'est le peuple birman qui doit décider de la direction qu'il veut pour le pays».

Rentrée samedi d'un périple épuisant, Suu Kyi a demandé à se reposer quelques jours, et obtenu l'autorisation de ne pas participer aux premières séances de la session du parlement, qui s'ouvre mercredi.

Mais dès lundi prochain, elle devra assumer le nouveau statut acquis lors du triomphe de son parti, la Ligue nationale pour la démocratie (LND), aux législatives partielles d'avril.

Elle devra se consacrer à la relance de l'économie, la redistribution des revenus gaziers et pétroliers et la reconstruction des secteurs de la santé et de l'éducation, souligne Win Min, chercheur birman basé aux Etats-Unis pour le Vahu Development Institute.

Mais elle commencera aussi à préparer les législatives de 2015, à l'issue desquelles elle pourrait, en cas de victoire, accéder à la présidence.

«Le défi pour elle est de gagner la confiance de la direction militaire et de faire des compromis avec les responsables du gouvernement pour s'assurer qu'ils transfèreront le pouvoir lorsqu'elle gagnera», estime le chercheur.

Et Win Min de résumer les attentes qui pèsent sur les épaules de l'opposante: «c'est le Mandela de notre époque».

Mais avec le prisonnier politique devenu président sud-africain, Suu Kyi ne partage pour l'heure que la détention, le militantisme et le Nobel de la paix.

Avant de conquérir la présidence, elle devra gérer les luttes de pouvoir et autres soubresauts des réformes birmanes, bien plus complexes que le compte de fée de son voyage en Europe. Et d'autres voix, notamment les minorités ethniques du pays, voudront aussi se faire entendre.

«Les dirigeants occidentaux ravivent l'iconification d'Aung San Suu Kyi et semble la poser en seule personnalité birmane à même de guider la démocratisation du pays», regrette Renaud Egreteau, chercheur à l'université de Hong Kong.

«Il serait bon de ne pas oublier que la Birmanie est bien plus diverse».