Malgré les vociférations des talibans et des islamistes, le Shama, cinéma pornographique du nord-ouest du Pakistan, projette des films depuis 20 ans. La police laisse faire en échange d'un pot-de-vin.

Pour aller au Shama, il faut s'enfoncer dans des ruelles crasseuses encombrées de voitures et de tricycles à moteur. Derrière son mur en béton, le cinéma passe inaperçu. Le bâtiment est un rectangle de béton sans charme, sans fenêtre, sans affiche de film. Des photos pornographiques sont alignées derrière le portail.

Bienvenue dans l'un des quatre cinémas érotiques et pornographiques de Peshawar. Pour 250 roupies (3$), le client s'offre une séance de 90 minutes. Dans la salle de 200 places, ils sont une poignée à attendre le film. Les sièges rabattables grincent à chaque nouveau spectateur. Le cuir a disparu. Le fauteuil n'est plus qu'une planche de bois.

La séance démarre sur une musique pachtoune assourdissante. À l'écran, une femme nue se déhanche devant un homme dans une chambre d'hôtel. Les spectateurs ont droit à une succession de clips musicaux du même genre. Peu importe: ils sont collés à l'écran. Pas de pop-corn pendant la projection. Ici, on fume du haschich.

Le gérant s'appelle Ishaq. Marié, six enfants, il tient la boutique depuis 20 ans. «Je n'ai jamais dit à ma femme dans quel genre de cinéma je travaillais, explique ce gros moustachu au crâne dégarni. Ce n'est pas très islamique», concède-t-il. Ali Khan, 31 ans, charpentier de son état, sort de la salle. Cet homme maigrichon vient une ou deux fois par mois. Il vit avec sa femme, sa fille, sa mère et son frère. «Je vais au marché. Je vais travailler», leur lance-t-il quand il va au Shama. «Je me dis que c'est mal, mais je ne peux pas m'en empêcher. La vie est dure. Je gagne 6000 roupies par mois (65$). Il faut bien se détendre.»

Malgré les menaces des talibans, malgré la fréquentation en baisse à cause de l'internet et des chaînes câblées, le Shama est ouvert depuis 20 ans. Ishaq adore son métier. «On diffuse des films tournés au Pakistan que j'achète 200 000 ou 300 000 roupies (de 2000$ à 3200$). Je varie la programmation avec des productions américaines et allemandes», explique-t-il.

Ishaq loue le Shama d'Aziz Bilour, le secrétaire d'État chargé de l'Industrie au gouvernement fédéral. Un de ses frères est ministre des Chemins de fer et un autre, Bashir, est ministre dans le gouvernement provincial à Peshawar. Outre le Shama, les Bilour possèdent une fabrique d'allumettes et deux usines de fabrication de farine.

Le clan Bilour est typique de la société pakistanaise, où les grandes familles occupent les ministères pour protéger leur business et s'enrichir grâce à la corruption. Forts de leurs situations, les Bilour contrôlent la police de Peshawar. Les activités du Shama sont illégales, mais la justice est aveugle pour celui qui peut se la payer. «Une fois par mois, des policiers viennent consulter nos comptes. On leur verse 10 ou 20 roupies par billet vendu. Et on est tranquilles», confie un employé du Shama.

Assis dans son ministère, Bashir Bilour admet que sa famille possède le Shama. Sait-il que les talibans enragent à cause des films projetés? Il hausse les épaules: «De toute façon, ils nous détestent. Ils ont essayé de me tuer quatre fois et ils ont bombardé ma maison à la roquette.»

Le Shama ne concède qu'une chose aux islamistes: il ferme pendant le ramadan.