La foule acclamant l'opposante birmane Aung San Suu Kyi à sa libération, et la chaise vide du Nobel de la paix chinois Liu Xiaobo lors de la remise du prix: deux images-phares de 2010, et deux symboles d'une Asie en plein boom économique mais en panne de réformes politiques.

Malgré l'indignation des gouvernements étrangers et une prise de conscience grandissante chez des centaines de millions d'Asiatiques qui ont accès à internet, les dictatures du continent ne faiblissent pas.

«Il semble même qu'on soit dans un creux en matière de défense des droits de l'Homme», estime David Mathieson, de l'organisation Human Rights Watch. «On assiste à un retour de bâton sophistiqué contre les droits de l'Homme».

Des pays qui autrefois expliquaient que les notions occidentales de démocratie ne fonctionnaient pas avec les «valeurs asiatiques» répondent à présent aux critiques en mettant en scène des parodies d'élections.

«Beaucoup de pays parlent de démocratie et disent 'au moins nous organisons des élections, c'est un progrès'. Alors qu'en fait, ce sont des coquilles vides qui ne font que prolonger le statu quo», ajoute David Mathieson.

La junte militaire birmane a ainsi organisé en novembre ses premières élections depuis 20 ans. Mais le parti d'Aung San Suu Kyi, qui avait remporté largement le scrutin de 1990 sans jamais être autorisé à exercer le pouvoir, les a boycottées et a été dissous.

Une semaine plus tard, le 13 novembre, la prix Nobel de la paix est apparue devant les grilles de sa maison, radieuse, devant des milliers de partisans en liesse. Mais son avenir reste incertain, à la merci des décisions de la junte.

Au Sri Lanka, des élections ont eu lieu en janvier après la victoire de l'État sur la rébellion des Tigres tamouls.

Le président Mahinda Rajapakse a été largement réélu, face à son ancien chef des Armées Sarath Fonseka, qui a dénoncé des fraudes électorales avant d'être arrêté et condamné à 30 mois de prison pour corruption.

Les deux exemples sembleraient déconnectés l'un de l'autre si Birmanie et Sri Lanka n'avaient tous deux pour allié la Chine, qui a refusé de laisser le dissident Liu Xiaobo sortir de sa prison pour aller à Oslo chercher son prix Nobel de la Paix le 10 décembre.

Ulcérée par la décision du comité Nobel, la Chine a pesé de tout son poids pour convaincre les pays de boycotter cette cérémonie (une vingtaine n'ont pas envoyé de représentants) et a brouillé toutes les chaînes étrangères sur son territoire le jour J.

Dans un article publié dans le Wall Street Journal, Jamie Metzl, le vice-président de Asia Society, une association visant à faire connaître l'Asie aux Américains, a accusé la Chine de soutenir les pires régimes de la planète.

«La Chine est le principal protecteur des gouvernements qui bafouent les droits de l'Homme», écrit-il, citant le Soudan, la Birmanie, la Corée du Nord, le Zimbabwe et l'Iran.

«Parce que la Chine aide à protéger ces régimes, avec en échange des accords commerciaux pour bénéficier notamment de leurs ressources naturelles, les efforts internationaux pour défendre les droits de l'Homme n'ont pas d'effet» sur eux.

D'autres pays de la région sont épinglés, comme le Cambodge ou encore le Vietnam, où les arrestations de dissidents se sont multipliés avant la tenue d'un congrès quinquennal du Parti communiste au pouvoir, en janvier.

Sur le continent, le sujet ne relève pas de débats théoriques, mais d'une lutte quotidienne contre les brutalités policières, la violence contre les femmes, la discrimination religieuse, l'injustice des tribunaux, note la Commission asiatique des droits de l'Homme dans son rapport annuel.

«Partout en Asie, les gens montrent clairement qu'ils ont de plus en plus conscience de leurs droits et qu'ils veulent en bénéficier», souligne-t-elle.

«L'espoir d'un avenir meilleur repose sur les initiatives des gens eux-mêmes. Mais la réponse des gouvernements est totalement inadéquate».