Trois jours après l'assaut de l'armée thaïlandaise qui a mis fin dans le sang au mouvement des «chemises rouges» à Bangkok, les militants antigouvernementaux rentrent dans leur fief du nord désireux de poursuivre la lutte mais perdus sans leur direction décapitée.

Des centaines de «rouges» sont rentrés en train à Chiang Mai, plus grande ville du nord, où ils ont été ovationnés comme des héros après avoir occupé pendant deux mois le centre de la capitale pour obtenir le départ du premier ministre Abhisit Vejjajiva.

Mais défaits par l'assaut de mercredi, les militants reconnaissent être perdus sans leurs chefs.

«Cette crise n'est pas finie. Mais là, nous n'avons ni direction ni plan», lance un militant, Wirash. «Les chemises rouges n'ont pas de leader actuellement. La police les a attrapés. Je ne sais pas quoi faire. Pour le moment je ne prévois pas de retourner à Bangkok».

L'opération des forces de sécurité mercredi n'a pas fait que déloger de la capitale les militants antigouvernementaux. Elle a aussi décapité la direction de leur mouvement.

Huit leaders rouges se sont rendus à la police sur une trentaine, selon les autorités. D'autres se cachent. Et leur stratège militaire, le général renégat Khattiya Sawasdipol, alias Seh Daeng, est mort en début de semaine des suites d'une blessure par balle.

«Les gens de Chiang Mai veulent se battre à nouveau. Mais il y a un problème de direction et les militants n'ont pas beaucoup de capacités pour s'organiser», explique un sympathisant, Dej Khiaonarong.

De nombreuses «chemises rouges» sont originaires du nord et du nord-est du pays, régions agricoles plutôt pauvres et bastion de leur idole, l'ex-premier ministre en exil Thaksin Shinawatra (2001-2006), élu puis réélu triomphalement avant d'être renversé par un coup d'État militaire.

Les violences meurtrières contre les manifestants lors de plusieurs assauts des forces de l'ordre ces dernières semaines risquent d'exacerber les tensions déjà profondes dans la société voire de «mener à la guerre civile», estime Wirash, à l'instar de plusieurs analystes.

Au moins 86 personnes ont été tuées et 1900 blessées, essentiellement des civils «rouges», depuis le début des manifestations lancées à la mi-mars par ces militants pour obtenir la démission du premier ministre, au pouvoir depuis 2008, et des élections anticipées.

Le fossé s'est creusé entre masses rurales et classes populaires des environs de la capitale qui s'estiment privées des fruits du boom économique et méprisées, et les élites de Bangkok que symbolise selon elles Abhisit.

Et la crainte de violences reste vive dans le nord et le nord-est. Des troubles limités ont éclaté mercredi et jeudi dans plusieurs villes de la région, avec l'incendie de quatre sièges de gouvernement provincial et des manifestations.

«Ils sont rentrés chez eux avec du ressentiment et de l'amertume qui ne vont pas disparaître», estime Pavin Chachavalpongpun (Institut d'études pour l'Asie du Sud-Est à Singapour).

«Donc cela ne sera pas une surprise si on apprend qu'il y a de nouvelles émeutes dans le pays, en particulier dans le nord et le nord-est. Ces gens-là ne font plus confiance au processus électoral donc ils se tournent vers l'alternative de la violence».

Les «chemises rouges» reprochent à Abhisit d'être arrivé au pouvoir à la faveur d'une décision de justice et d'un renversement d'alliances et non à l'issue d'un scrutin.

«Le peuple est furieux contre le premier ministre. Pour le moment Abhisit, tu as gagné. Mais nous n'abandonnons pas la lutte», promet Nikhom, un des leaders locaux.