La Chine célébrera demain le 60e anniversaire de la proclamation de la République populaire par Mao Zedong. D'importantes festivités couronnées par le plus grand feu d'artifice au monde, a-t-on déjà annoncé. Pourtant, en jetant un regard sur son passé, la population fait grise mine devant tant d'espoirs déçus.

Ses yeux en brillent encore. «J'en ai pleuré. La place Tianan'men était noire de monde. J'y suis restée toute la matinée un drapeau à la main, puis j'y suis retournée le soir pour la fête organisée pour les jeunes. Je portais une nouvelle robe pour l'occasion.»

Mei Xian (son nom a été changé à sa demande, comme celui des autres personnes interrogées) est aujourd'hui âgée de 96 ans. Elle garde pourtant des souvenirs très nets de cette journée du 1er octobre 1949, date de la proclamation de la République populaire de Chine.

À des centaines de kilomètres de là, Liu Song travaillait dans une usine d'équipements ferroviaires de la province du Henan. Engagée en 1948 à 23 ans dans l'armée communiste avec son mari, elle était partie combattre les forces du Kuomintang, du maréchal Chiang Kai-shek. Elle a «écouté le discours de Mao Zedong à la radio, comme tous les gens autour de nous».

Pour ces deux femmes alors proche du pouvoir, la fin des années 40 et la moitié des années 50 paraissent idylliques. «Nous allions pouvoir reconstruire le pouvoir de nos propres mains», se souvient Mei Xian. «Nous travaillions tous comme des fous, nous ne comptions pas nos heures, car nous faisions cela pour le pays. Ce sont vraiment les 10 plus belles années de ma vie.»

Ce tableau des premières années de la Chine communiste ne peut cependant pas être extrapolé à l'ensemble de la population, comme le prétend la propagande officielle.

Avec son mari, Wang Qin, alors âgée de 26 ans, cultivait et vendait des légumes à six ou sept kilomètres du centre de la capitale.

«Je ne me souviens pas du tout du 1er octobre,» avoue-t-elle. Nous n'avions pas assez d'argent pour acheter une radio, nous étions donc coupés du monde. La vie était dure et nous devions nous concentrer sur nos récoltes, surtout à cette période de l'année. D'ailleurs, la libération, comme on l'appelle en Chine, n'a rien changé à notre vie. Si ce n'est que nos terres ont été collectivisées de force et que l'intégralité de nos récoltes était envoyée à Pékin.»

Rapidement, les paysans ne seront plus les seuls à faire des reproches au Parti. À partir de 1957, le ciel va également s'assombrir pour les élites. Quelques années plus tard, le mari de Liu Song sera tué, pendant la révolution culturelle, durant laquelle les intellectuels sont devenus les ennemis de la nation et de la révolution.

Cette terrible époque et l'entrée dans le capitalisme qui l'a suivie n'ont pourtant pas mis fin au programme communiste. «Dans l'idéologie officielle, les préceptes du marxisme-léninisme et la pensée de Mao Zedong sont extrêmement présents depuis l'arrivée au pouvoir de Hu Jintao, en 2003,» analyse Jean-Philippe Béja, chercheur au centre d'études français sur la Chine contemporaine, situé à Hong Kong.

«Dans les faits, la démocratie nouvelle promise par Mao Zedong en 1949, avec des partis politiques bourgeois qui auraient le droit d'exister, est loin d'être réalisée.»

Ainsi, depuis longtemps, les yeux de Mei Xian ne brillent plus. «Nous avions beaucoup d'espoirs, nous avions des idéaux nobles. Le président Mao a fait l'erreur d'opter, à ce moment, pour la dictature. Or, la dictature est ce qu'il a de pire pour une nation, mais la plus grosse erreur des dirigeants est d'avoir copié la Russie en effaçant le passé. La tradition millénaire du pays. La Chine et les Chinois sont désormais plus riches, mais ils ont perdu leurs racines et ne savent plus très bien où aller.»