Hier, les Tigres tamouls ont accusé les forces armées du Sri Lanka d'avoir tué 45 civils en bombardant un hôpital de fortune. Impossible de vérifier ces allégations: le gouvernement sri lankais a érigé une véritable forteresse autour de la zone de conflit.

Membre de l'équipe d'urgence pour Human Rights Watch, Anna Neistat travaille depuis des années dans des zones de conflit: Tchétchénie, Ouzbékistan, Liban. Chaque fois, elle a dû se battre pour que les autorités l'autorisent à faire son travail: rendre compte de la situation sur le terrain. Mais au Sri Lanka, elle a frappé un mur.

 

Pas question de se rendre dans le Vanni, la petite région du nord-est du pays où l'armée sri lankaise mène une intense opération militaire contre les Tigres tamouls malgré la présence de 50 000 civils.

Hormis la Croix-Rouge, qui est astreinte à la neutralité, aucun journaliste ou observateur indépendant n'a pu y pénétrer depuis l'an dernier. Ce «verrouillage» de l'information pendant une opération militaire, s'il est dénoncé par les défenseurs des droits de l'homme et de la liberté de la presse, n'est pas inédit. Les exemples récents sont nombreux.

La Russie, qui avait accepté la présence des journalistes lors de la première guerre de Tchétchénie (de 1994 à 1996) a littéralement mis la clé sous la porte au début de la deuxième guerre, en 1999. Sur ordres de Vladimir Poutine, seuls les observateurs escortés par l'armée russe étaient autorisés à y travailler. Mais plusieurs journalistes, dont Anna Politkovskaïa, assassinée en 2006, s'y rendaient par leurs propres moyens.

Plus récemment, lors de sa dernière opération militaire dans la bande de Gaza, Israël a interdit l'accès aux journalistes étrangers. Néanmoins, ces derniers pouvaient communiquer avec des Palestiniens se trouvant à l'intérieur de la zone de conflit.

Au Sri Lanka, le trou noir est total. Les civils, pris en étau dans la zone de conflit qui rétrécit sans cesse, n'ont aucun accès au monde extérieur. Les réfugiés, maintenant estimés à 193 000, sont confinés à des camps gardés par l'armée sri lankaise comme s'il s'agissait de prisons.

Ceux qui réussissent à s'y faufiler deviennent vite persona non grata. C'est le cas d'Anna Neistat. Depuis la publication d'un rapport sur des mauvais traitements infligés aux réfugiés en février dernier, la représentante de HRW est interdite de territoire. Dimanche, trois journalistes de la chaîne britannique Channel 4 ont été arrêtés et expulsés du pays parce qu'ils ont diffusé un reportage sur le même sujet.

«Il n'y a qu'une seule question à poser. Qu'est-ce qui se cache derrière les efforts immenses que le gouvernement sri lankais déploie pour contrôler l'information. Si tout va bien, pourquoi le faire?» demande Anna Neistat, jointe à New York hier. Elle a sa propre réponse.

«En général, quand un gouvernement a ce comportement, c'est qu'il n'y a rien de bon qui se passe derrière les portes fermées. La bonne nouvelle, c'est que la vérité finit toujours par émerger.»

Déjà, on a quelques certitudes sur la situation au Sri Lanka. Grâce à des images satellites des Nations unies, on sait que l'armée sri lankaise bombarde toujours des zones où se trouvent des civils et ce, même si elle prétend le contraire. On sait aussi que près de 7000 civils ont été tués depuis janvier.

On ignore le rôle exact de l'armée et des Tigres tamouls dans ce bain de sang. Et qu'en est-il des allégations de génocide, formulées par la diaspora tamoule de Toronto, Montréal et Paris? La plupart des experts du génocide refusent de se prononcer.

À la fin du conflit, la vérité éclatera certainement au grand jour. Malheureusement, il sera peut-être trop tard.