Lorsque le gouvernement pakistanais a signé une entente «de paix» avec les talibans en février, leur permettant de contrôler la vallée du Swat dans le nord-ouest du pays, les militants des droits de l'homme ont mis en garde les autorités contre ce pacte avec le démon. Il semble que le gouvernement d'Islamabad soit maintenant de leur avis. Depuis mercredi, l'armée pakistanaise mène une offensive militaire contre le mouvement islamiste qui a violé l'entente et étendu son pouvoir dans d'autres régions. La société civile est loin d'y voir la meilleure solution. Entrevue avec Saba Gul Khattak, ancienne directrice de l'Institut sur les politiques en développement durable d'Islamabad.

QDe l'Occident, on a l'impression que les talibans sont en train de prendre le contrôle du Pakistan. Hier, notamment, le département d'État américain écrivait dans une note interne que les talibans pakistanais ont aidé Al-Qaeda, «menace terroriste no 1», à se refaire des forces. Quelle est votre perception?

 

R La société civile est très inquiète de la perte de contrôle très rapide des autorités pakistanaises dans le nord-ouest du pays. Le Pakistan a la septième armée du monde. Comment peut-on expliquer que l'État ait dû signer un pacte avec un groupe de militants armés pour amener la paix dans le nord du pays? Depuis deux ou trois jours, on voit qu'ils essaient de reprendre le contrôle grâce à des opérations militaires. Malheureusement, ça se fait dans la violence plutôt que la négociation. Les civils sont les premiers à payer le prix.

Q Pouvez-vous nous décrire la situation sur le terrain?

R Elle est pire qu'au lendemain du tremblement de terre de 2005. Il y a au moins un million de déplacés. Dans les derniers jours seulement, des dizaines de milliers de personnes ont dû fuir leurs maisons pour échapper aux opérations militaires. Dans la vallée du Swat (où les talibans pakistanais font la loi), plus de 7000 maisons ont été brûlées. Les champs ont été ravagés et les écoles détruites. La vie des gens a été saccagée.

Q Beaucoup de gens ont fui la vallée, mais d'autres y vivent toujours, dans quelles conditions?

R Les militants des droits de l'homme qui y travaillent ont peur pour leur vie. On leur dit tous les jours que s'ils font mal paraître les talibans, ils devront payer pour. Des centaines d'élus locaux ont été tués au cours des derniers mois. La population, elle, fait face à la même situation que sous le régime taliban de l'Afghanistan des années 90. Les hommes doivent laisser leur barbe pousser, les femmes ne peuvent plus sortir de chez elles. Les minorités religieuses doivent payer une taxe. Rien de tout cela ne va: nous sommes tous des citoyens pakistanais, l'État doit faire respecter la même loi pour tous.

Q Avant la signature du traité de paix, la population vivait dans le chaos. Le conflit entre l'armée et les groupes insurgés allaient de mal en pis. Le gouvernement avait-il d'autres choix que de signer le traité de paix avec les talibans pakistanais?

R Il y avait beaucoup d'autres options. Ce «traité» n'a pas amené la paix, mais a permis aux insurgés de se regrouper. Ils essaient depuis d'étendre leur pouvoir. Au lieu de signer un traité, le gouvernement central aurait dû écouter depuis longtemps les gouvernements locaux et aurait dû leur donner les moyens de soutenir la sécurité des communautés. Ils auraient dû s'inquiéter quand des représentants locaux ont été tués les uns après les autres. En temps de crise, il faut mettre les différences politiques de côté et travailler main dans la main.