L'Inde s'est réveillée hier avec un terrible mal de tête. Le cauchemar des 10 attentats de la veille, tous perpétrés dans le coeur de Bombay, ne s'était pas estompé avec la levée du jour. Des dizaines d'otages, dont six Canadiens, étaient toujours retenus par des terroristes armés jusqu'aux dents. Le bilan des morts, lui, n'a cessé de s'alourdir alors que les forces de l'ordre tentaient de mettre fin à la terreur.

Habituellement noires de monde et d'automobiles, les rues du centre de Bombay ont tourné au vert kaki hier. Policiers et militaires indiens ont sorti l'artillerie lourde pour déloger des groupes de terroristes terrés dans trois établissements. Plus de 24 heures après avoir commis 10 attentats et avoir tué au moins 125 personnes, ces derniers s'accrochaient du mieux qu'ils pouvaient à leurs derniers otages.

 

Toute la journée, la télévision indienne a montré des images de plusieurs des captifs, à l'air exténué, regardant par les fenêtres de l'hôtel Oberoi Trident, un des trois endroits assiégés par les terroristes. Les autres se trouvaient dans un autre hôtel de grand luxe, le Taj Mahal Palace, véritable emblème de la ville et dans la Maison Chabad, un centre communautaire juif abritant des fidèles de la secte de Chabad Lubavich.

Au moment de mettre sous presse hier, le rabbin de la maison Chabad et sa femme étaient toujours prisonniers d'un groupe d'hommes lourdement armés. Environ 25 personnes se trouvaient dans l'hôtel Oberoi et des échanges de tirs éclataient sporadiquement dans les environs du Taj Mahal Palace.

Dures heures pour les otages

Les victimes des terroristes n'étaient pas toutes retenues sous la menace de fusils. À l'hôtel Oberoi, tout comme au Taj Mahal Palace, plusieurs étaient incapables de sortir de leur chambre, de peur de tomber sur les hommes armés, d'être pris dans le feu croisé entre leurs ravisseurs et les policiers indiens ou de périr dans les nombreux incendies qui faisaient rage.

D'autres, plus chanceux, ont été libérés par les policiers ou les forces spéciales indiennes ou ont profité d'un moment d'accalmie pour s'enfuir. Une comédienne australienne, Brooke Satchwell, qui séjournait au Taj Mahal Palace, s'est cachée dans un placard à balais pour échapper aux terroristes. De là, elle a entendu des coups de feu et des explosions. Quand elle est sortie, une heure plus tard, le légendaire hôtel n'était plus que l'ombre de lui-même. «Il y avait un mort juste à côté de la salle de bains. D'autres dans les escaliers. C'était le chaos», a raconté la comédienne à une station de télévision indienne.

Ceux qui sont tombés face à face avec les terroristes ont tous fait le même constat: les hommes armés jusqu'aux dents étaient extrêmement jeunes. «Tout au plus 20 à 25 ans», ont rapporté deux autres touristes australiens qui ont pu voir le visage de leurs agresseurs avant de se coucher sous les tables du Café Léopold, un des établissements du quartier touristique de Colaba qui a été criblé de balles mercredi soir.

Hier, les autorités indiennes n'ont pu confirmer l'identité des terroristes armés. Cependant, lors d'un discours télévisé, le premier ministre indien Manmohan Singh a affirmé que les responsables de la violence provenaient «de l'extérieur» du pays.

Éternel rival de l'Inde sur la question du Cachemire, le Pakistan a vite rétorqué à l'affirmation du premier ministre indien en lui demandant de ne pas sauter aux conclusions avant d'avoir des preuves. Pour le moment, un groupe inconnu, les Moudjahidine du Deccan, a été le seul à revendiquer les attentats de mercredi et hier. Plusieurs groupes islamistes du Pakistan ont nié avoir été impliqués dans le carnage qui, selon les derniers bilans, a fait 125 morts et 327 blessés.

Au moins neuf étrangers perdent la vie

Les 10 attentats quasi simultanés ayant visé principalement les quartiers touristique et d'affaires du sud de la mégapole indienne, plusieurs étrangers sont au nombre des morts et des blessés. Selon les autorités indiennes, au moins neuf ressortissants étrangers sont morts et plus d'une trentaine d'autres ont été blessés. Parmi eux figurent deux Canadiens, dont le comédien montréalais Michael Rudder (voir texte ci-dessous).

Lors de conférences téléphoniques hier, le ministre des Affaires étrangères Lawrence Cannon, qui avait refusé la veille de confirmer la présence de Canadiens dans les hôtels assiégés, a affirmé hier matin que six Canadiens y ont été retenus.

Le 11 septembre indien

Sous le choc, les Indiens commençaient à peine hier à tenter de comprendre le sens de cette explosion de violence. «L'Inde a connu beaucoup d'attentats, mais jamais comme ceux-là. Des terroristes qui se promènent librement dans les rues avec des kalachnikovs et des grenades, on s'attend à voir ça à Karachi (au Pakistan), mais pas en Inde», soupirait hier la journaliste et documentariste indienne Taran Khan, jointe par téléphone alors qu'elle revenait des quartiers affectés. «Du point de vue du nombre de morts, l'Inde a vu pire. Mais du point de vue de l'impact émotif, c'est notre 11 septembre.»