Même s’ils disposaient d’appuis importants en haut lieu, les partisans de l’ex-président brésilien Jair Bolsonaro ayant pris d’assaut dimanche les principales institutions démocratiques du pays ont « surjoué leur main » et se voient maintenant confrontés à un sévère contrecoup sécuritaire et juridique susceptible d’affecter aussi leur champion.

Le politicien, actuellement en Floride, se retrouve dans une position de « vulnérabilité extrême » et risque de connaître de « sérieuses difficultés » si les autorités trouvent des liens directs entre lui et les manifestants, a indiqué lundi James Green, un spécialiste de l’Amérique latine rattaché à l’Université Brown.

« Des efforts très importants vont être déployés pour suivre l’argent » et retrouver les personnes responsables de l’organisation de l’attaque à Brasília ciblant le palais présidentiel, le Congrès et la Cour suprême, relève M. Green, joint à Rio de Janeiro.

Un coup d’État militaire souhaité

L’objectif premier des manifestants, dit-il, était de créer une situation instable « donnant à l’armée une raison d’intervenir » et de prendre le pouvoir en écartant au passage le nouveau président du pays, Luiz Inacio Lula da Silva, qui a prêté serment il y a quelques jours. Il avait devancé Jair Bolsonaro par moins de deux points de pourcentage en octobre lors d’une élection chaudement contestée.

Jean Daudelin, professeur à l’Université Carleton suivant de près la situation au Brésil, est aussi d’avis que les manifestants visaient dimanche à créer le « chaos » pour favoriser un coup d’État militaire.

Le stratagème a cependant tourné court, dit-il, parce que plusieurs élus importants, dont des personnes proches de l’ex-président, ont rapidement dénoncé l’attaque contre les bâtiments institutionnels, enlevant toute légitimité à une telle action.

Plusieurs militaires de haut rang des forces armées avaient affiché ouvertement leur mépris pour la nouvelle administration et cautionné de facto l’aménagement, devant des bâtiments de l’armée, de camps de manifestants réclamant une « intervention militaire ».

L’armée et la police, main dans la main avec les bolsonaristes ?

Rafael Soares Gonçalves, chercheur rattaché au département de travail social de l’Université pontificale catholique de Rio de Janeiro, note que Jair Bolsonaro avait nommé des militaires dans plusieurs postes civils importants durant son passage au pouvoir, plaçant son successeur dans une position délicate.

PHOTO MAURO PIMENTEL, AGENCE FRANCE-PRESSE

Le président du Brésil Luiz Inácio Lula da Silva, lors d’une réunion avec les gouverneurs du pays, lundi, au palais du Planalto

« C’est un jeu d’échecs très tendu qui se joue avec l’armée », note l’analyste, qui s’alarme par ailleurs de voir que les manifestants ont pu compter, dimanche, sur l’aide de membres de la force de police chargée d’assurer l’ordre public à Brasília.

Certains policiers ont carrément pris des « égoportraits » avec les manifestants et leur ont permis d’accéder « sans souci » aux lieux de pouvoir ciblés, déplore M. Gonçalves.

Jean Daudelin note que des questions importantes se posent par ailleurs relativement à l’attitude du gouverneur du district de Brasília, Ibaneis Rocha, et du chef de la sécurité publique, Anderson Torres, un ex-ministre de la Justice de Jair Bolsonaro.

Le premier a été suspendu pour 90 jours sur ordre d’un juge de la Cour suprême en raison des « failles » sécuritaires observées dimanche. Le second, qui était parti pour la Floride peu de temps avant que des autobus chargés de manifestants convergent vers la capitale, a été carrément limogé.

Des enquêtes ouvertes

Des enquêtes ont été ouvertes pour établir la responsabilité des personnes impliquées dans les attaques, décrites dans plusieurs médias comme des « terroristes ».

La police fédérale est en train de demander une masse d’informations sur qui finançait les camps de manifestations, les autobus, la nourriture.

Jean Daudelin, professeur à l’Université Carleton

L’attaque de dimanche, prévient le spécialiste, pourrait venir hanter l’ex-président Bolsonaro même en l’absence de liens directs avec les manifestants, puisqu’il a multiplié tout au long de son mandat les critiques contre les institutions démocratiques du pays, y compris la Cour suprême, alimentant la grogne de ses partisans.

Jair Bolsonaro, qui a quitté le Brésil quelques jours avant la fin de son mandat, est aussi menacé juridiquement par d’autres enquêtes et pourrait tenter d’étirer son séjour aux États-Unis malgré l’opposition d’élus démocrates réclamant son renvoi.

« Les États-Unis doivent cesser d’offrir un refuge à Bolsonaro en Floride », a indiqué notamment la députée Alexandria Ocasio-Cortez, qui demande à Washington de « faire preuve de solidarité » avec Brasília.

M. Gonçalves note que Luiz Inacio Lula da Silva devra se montrer ferme face aux personnes responsables des saccages de manière à décourager toute tentative de récidive.

Même si la vaste majorité de la population brésilienne est outrée par les évènements survenus dimanche, il demeure un noyau dur de partisans de Jair Bolsonaro qui pourraient être tentés de voir l’assaut comme « un trophée », prévient-il.

Biden invite Lula et lui offre son « soutien sans faille »

Joe Biden a invité son homologue brésilien Lula à venir le voir à Washington début février, selon un communiqué commun faisant suite à un entretien téléphonique lundi, qui précise que l’invitation a été acceptée.

Le président américain a exprimé lors de cet échange avec Luiz Inacio Lula da Silva le « soutien sans faille des États-Unis à la démocratie brésilienne et à l’expression de la libre volonté du peuple brésilien, telle qu’exprimée lors de la récente élection présidentielle que le président Lula a remportée ».

Les deux dirigeants ont par ailleurs promis de « travailler ensemble étroitement sur les défis que rencontrent les États-Unis et le Mexique, y compris le changement climatique, le développement économique, la paix et la sécurité ».

Agence France-Presse