Le premier vice-président péruvien Martin Vizcarra, un ingénieur austère sans lien avec les partis politiques traditionnels, doit succéder vendredi à la tête du Pérou à Pedro Pablo Kuczynski, qui a démissionné sur fond de scandale de corruption.

M. Vizcarra, qui se trouvait au Canada, est arrivé tard dans la nuit à Lima, accueilli par des dizaines supporters qui lui ont offert un maillot du Pérou, qualifié pour le Mondial de juin en Russie. Il n'a fait aucune déclaration. Conformément à la Constitution, la présidence devrait lui échoir, jusqu'au terme du mandat actuel, en juillet 2021.

La prestation de serment devant le Parlement est prévue à partir de midi.

Auparavant, les députés devront avoir statué sur le sort du président sortant. Le Parlement doit en effet décider s'il accepte la démission de Pedro Pablo Kuczynski, mis en cause pour ses liens avec le groupe brésilien de BTP Odebrecht, au coeur d'un vaste scandale de corruption, ou s'il juge préférable de le destituer.

Ce point de procédure faisait l'objet d'une polémique vendredi matin: PPK a menacé de retirer sa démission pour «exercer son droit à la défense» lors d'un processus de destitution, jugeant «inacceptable» le contenu du texte que s'apprêtait à voter le Parlement.

Selon des fuites dans la presse, le président sortant y est accusé d'avoir «trahi la patrie». «Il s'agit d'un brouillon qui sera corrigé», a répondu le chef du Parlement Luis Galarreta (opposition).

«Transition rapide»

Accusé d'avoir menti sur ses liens avec le géant brésilien du BTP Odebrecht, au coeur d'un vaste scandale de corruption qui éclabousse une partie de la classe politique d'Amérique latine, M. Kuczynski, un ancien banquier de Wall Street de 79 ans, a jeté l'éponge mercredi.

Il est ainsi devenu le premier président à chuter dans cette affaire qui a déjà mené en prison nombre de parlementaires brésiliens et le vice-président de l'Équateur.

Ses deux prédécesseurs, Ollanta Humala et Alejandro Toledo, sont eux aussi accusés d'être impliqués dans ce scandale. Le premier est en détention provisoire. Quand au second, il est installé en Californie, mais le Pérou a validé jeudi la demande d'extradition qu'il va présenter aux autorités américaines.

Cette crise politique tombe au plus mal, à quelques semaines du sommet des Amériques, les 13 et 14 avril à Lima, où sont attendus une trentaine de chefs d'État dont le président américain Donald Trump.

Mais elle ne devrait pas remettre en cause le déroulement du sommet, ni susciter de grandes agitations au Pérou, où le président de centre droit, élu dans un mouchoir de poche en 2016, n'a jamais suscité l'enthousiasme de la population.

«Il est probable que la transition au pouvoir soit relativement douce et rapide», estime le cabinet britannique Capital Economics. Et «la faible probabilité d'une incertitude politique prolongée renforce notre opinion que ce bouleversement politique ne devrait pas détériorer l'économie».

«Changer les règles»

Mais Martin Vizcarra, 55 ans, qui contrairement à «PPK» n'a aucun lien avec les milieux d'affaires et les partis traditionnels, devra lui aussi affronter la toute-puissance du clan Fujimori, incarné par ses enfants Keiko et Kenji.

«Le gouvernement de Vizcarra va assurer une continuité en matière d'économie et d'investissements; Il devrait jouir d'un capital politique plus important que Kuczynski, sans pour autant réussir à faire avancer les réformes structurelles», juge le cabinet Eurasia Group.

«Le vice-président aura le même problème de gouvernance. Il lui faudra composer avec le fujimorisme divisé en deux entre Keiko et Kenji», souligne Gaspard Estrada, le directeur de l'Opalc, l'observatoire sur l'Amérique latine de l'Institut d'Etudes Politiques de Paris.

M. Kuczynski a justement souffert face au parti de Keiko, Force populaire, majoritaire au Parlement. Il avait déjà échappé de justesse fin décembre à une premier procédure de destitution, en échange d'un accord avec Kenji à qui il a offert en retour, quelques jours plus tard, la grâce de son père Alberto, qui purgeait une peine de 25 ans de prison pour crimes contre l'humanité et corruption.

C'est la diffusion de vidéos, mardi, montrant Kenji en train de négocier cet achat de votes, qui a précipité la chute de PPK.

Dès mercredi, le Parlement a déclenché une procédure pour lever l'immunité de Kenji, 37 ans, engagé dans une guerre fratricide avec sa soeur Keiko, 42 ans, elle-même visée par une enquête pour possible financement illégal par Odebrecht de sa campagne présidentielle de 2011.