Le bilan des victimes de l'ouragan Matthew en Haïti a bondi à 283 morts jeudi, selon un bilan provisoire du ministère haïtien de l'Intérieur. Ce bilan risque toutefois de s'alourdir puisque le sud-est du pays a été complètement ravagé par l'ouragan et restait pratiquement isolé du reste de l'île. De plus, une grave crise alimentaire et sanitaire risque de frapper les régions touchées.

«C'est la catastrophe !», lance Andrée Gilbert, chef de mission pour Médecins du Monde Canada en Haïti, en entrevue téléphonique avec La Presse depuis Port-au-Prince. «Les habitants ont pratiquement tous perdu leur maison. Les bureaux de Médecins du Monde n'ont plus de murs, plus de toit», déplore-t-elle. 

80% des bâtiments de Jérémie rasés

Quelque 80 % des bâtiments de Jérémie, la capitale du département méridional de Grande Anse en Haïti comptant environ 30 000 habitants, ont été rasés par le passage de l'ouragan Matthew, affirme l'ONG Care sur son compte Twitter. «Jérémie, la capitale du département méridional de Grande Anse, est complètement détruite. Environ 80 % des bâtiments sont rasés. Toutes les lignes téléphoniques et électriques sont coupées. Tout comme l'accès (à la ville) et les gens seront bientôt à court de nourriture et d'argent», affirme Jean-Michel Vigreux, le directeur de CARE Haïti, cité dans le tweet. 

Plus tôt ce jeudi, le bilan s'élevait à au moins 108 morts, selon le ministre haïtien de l'Intérieur, François Anick Joseph. La dévastatrice dépression a fait 50 morts dans la seule commune de Roche-à-Bateau, dans le sud du pays, qui est complètement « dévastée », selon le député du département du sud, Ostin Pierre-Louis. Un précédent bilan officiel faisait jusqu'ici état d'au moins 23 morts, ensuite majoré à 65, en Haïti.

Le pays, touché mardi et mercredi principalement, est très vulnérable aux intempéries en raison de l'importante déforestation, et « la situation des principales villes est catastrophique », s'est alarmé le président par intérim, Jocelerme Privert.

Les vents et les pluies ont inondé des milliers de maisons, endommagé des écoles, détruit d'importantes surfaces agricoles, des entreprises, des routes et des ponts. Plus de 21 000 personnes ont été évacuées et 350 000 ont besoin d'assistance, selon le bureau de coordination des affaires humanitaires de l'ONU.

Comme redouté par les autorités et les organisations humanitaires, les inondations causées par le passage de l'ouragan ont aussi entraîné une résurgence du choléra : déjà huit nouveaux cas ont été recensés.

Le passage de la tempête a aussi forcé un nouveau report des élections prévues dimanche, notamment le scrutin présidentiel.

Des hélicoptères militaires américains devaient arriver jeudi pour aider dans les zones les plus touchées.

«La première aide c'est nous»

Les pieds dans une flaque d'eau sale, Dominique donne des indications à son voisin qui s'affaire à reclouer une des tôles emportées par les rafales de vent. Solidaires, les habitants du quartier de Sous-Roche Cayes en Haïti s'activent pour réparer les dégâts causés par l'ouragan Matthew.

«J'ai passé les deux jours sur mes deux pieds, sans dormir. On doit s'aider les uns les autres», témoigne Dominique Osny. «Tout le monde est victime ici, les maisons ont été emportées par les eaux, on a perdu toutes les tôles, j'ai même perdu jusqu'à mon extrait de naissance», se désole-t-il.

Le quartier tranquille en bord de plage est aujourd'hui envahi par la boue et les arbres déracinés. À quelques dizaines de mètres, la rivière a commencé à se retirer, mais il est encore impossible de la dissocier de l'océan qui a englouti la plage.

Sur la côte sud d'Haïti, Les Cayes, troisième ville du pays, a été, pendant de longues heures, balayée par les vents et les averses torrentielles de l'ouragan.

«J'ai pensé que j'allais mourir. J'ai vu la mort en face», raconte Yolette Cazenor. «On était dans la maison et on s'est mis à courir parce que, comme vous voyez, le cocotier est tombé sur la maison et l'a complètement détruite», explique la femme de 36 ans devant son habitation coupée en deux par le tronc d'arbre.

Si devant l'adversité, les Haïtiens conjuguent leurs efforts, l'aide étrangère commence à parvenir aux victimes de l'ouragan.

Depuis le camion où elle est juchée avec les autres membres de la mission religieuse Arise Haïti , Rachel Courter, une Américaine, distribue des cartons de nourriture aux habitants de Sous-Roche.

«Nous donnons la même portion de riz que nous donnons aux enfants que l'on aidait déjà à travers notre programme», explique-t-elle. «C'est impossible d'aider toutes les victimes, nous donnons seulement ce que l'on avait déjà».

Mais cette générosité étrangère n'est pas du goût de tous dans la ville.

«Je n'ai jamais cru en l'aide étrangère: s'il vous plait, ne venez pas encore nous promettre des milliards si après nous n'allons rien recevoir», peste Gédéon Dorfeuille. «Surtout on n'a pas besoin de l'armée comme après le 12 janvier 2010», le jour du séisme qui a tué plus de 200 000 personnes, lance t-il.

«Alors qu'on avait besoin d'eau potable, les Américains ont débarqué avec leurs armes et leurs soldats. Et 80% de l'argent qui devait aider Haïti a été brûlé dans les mains des ONG», dénonce le jeune homme.

Jusqu'à la fin de la journée, marteau en main, Gédéon Dorfeuille explique qu'il va continuer à aider ses voisins à replacer les tôles sur les toits. «C'est à nous de commencer le travail, la première aide c'est nous».

Ottawa envoie une équipe en Haïti pour évaluer les dommages

Le gouvernement fédéral a envoyé une équipe de six personnes en Haïti pour évaluer les dommages causés par l'ouragan Matthew et déterminer quel type d'assistance le Canada pourra fournir.

La Croix-Rouge se prépare à lancer un appel aux dons pour pouvoir fournir une aide d'urgence.

Haïti, le pays le plus pauvre de l'Amérique, a été frappé par plusieurs catastrophes naturelles au fil des ans.

Le Canada avait envoyé des troupes et de l'équipement dans ce pays des Caraïbes à la suite du terrible tremblement de terre qui avait tué au moins 100 000 personnes en 2010.

L'armée américaine a annoncé, tard mardi, l'envoi d'environ 150 soldats pour porter secours aux sinistrés, précisant que de l'aide additionnelle pouvait être envoyée au besoin.

- Avec l'AFP et La Presse canadienne