À Cuba, la question sensible des détenus politiques suscite interrogations et polémiques, entre un gouvernement démentant leur existence et une organisation dissidente peinant à les faire reconnaître.

Aux yeux du président Raúl Castro, la situation est claire: il n'existe pas de prisonniers politiques sur l'île.

On se souvient de son emportement lorsque, interpellé par un journaliste américain lors de la visite du président Barack Obama en mars, il avait mis au défi son interlocuteur de lui présenter une liste.

Le dissident Elizardo Sanchez, qui a déjà passé plus de huit ans en cellule, aurait bien voulu lui faire parvenir la sienne, actualisée chaque année, mais ses tentatives sont restées vaines.

Son organisation, la Commission cubaine des droits de l'homme (CCDH), est la seule à tenter de tenir un décompte dans un pays où les procès se déroulent à huis clos, avec des avocats payés par le gouvernement et des condamnations très rarement publiées.

Selon son dernier recensement, Cuba compte 93 détenus « pour motifs politiques ou poursuivis et condamnés dans le cadre de procédures politiquement motivées ».

Parmi eux, la CCDH identifie 51 prisonniers de conscience, 31 détenus pour crimes contre l'État et 11 condamnés du printemps noir (une vague de répression en 2003) bénéficiant actuellement d'une liberté provisoire.

Ses détracteurs contestent la pertinence de cette liste qui, outre des condamnés en liberté, mentionne des prisonniers reconnus coupables d'espionnage ou de terrorisme et des personnes ayant tenté de fuir le pays en détournant avions ou bateaux.

Prudence des ONG internationales

Ces « prisonniers sont condamnés pour crimes contre l'État, ce qui est un délit politique », se défend M. Sanchez.

Il explique vouloir attirer l'attention sur ces détenus pour les soutenir, car « en prison leur vie est beaucoup plus difficile que pour les autres » du fait de leur statut de « contre-révolutionnaire ».

Quant aux prisonniers en liberté provisoire, ils sont cités parce qu'ils gardent « une épée de Damoclès au-dessus de la tête », risquant de retourner derrière les barreaux si les autorités le décident.

Si la CCDH est considérée comme sérieuse, les ONG internationales telles qu'Amnistie internationale ou Human Rights Watch ne reprennent pas cette liste à leur compte, faute de pouvoir dépêcher leurs représentants sur l'île.

« Quand Amnistie internationale ne reconnaît pas de prisonniers de conscience (...), c'est simplement que nous n'avons pas les moyens de vérifier toutes les informations », explique à l'AFP Louise Tillotson, du bureau d'Amnistie pour les Amériques.

Idem pour certains gouvernements étrangers enclins à dénoncer la répression à Cuba, mais ne se risquant plus à donner de chiffres, surtout depuis que Cuba a accepté fin 2014 de libérer 53 détenus classés par Washington comme prisonniers politiques.

Elizardo Sanchez propose régulièrement aux grandes organisations de « valider » certains prisonniers de conscience, mais déplore leur lenteur à réagir.

« Parfois on propose un nom, et un an après ils nous disent qu'ils l'ont validé, mais nous leur répondons que c'est trop tard, que le prisonnier est déjà sorti ».

Brèves interpellations

Dans le pays, l'évêque Jorge Serpa, président de la Pastorale pénitentiaire - seul organisme indépendant habilité à rendre visite aux prisonniers - est l'un des rares à oser évoquer l'épineux sujet.

« Il y a des gens qui ont commis des délits considérés comme contre l'État. Je dois donc conclure que c'est à cause de problèmes politiques », déclare à l'AFP le prélat, sans avancer de chiffres.

Pour Michael Shifter, président du groupe d'études américain Inter-American Dialogue, « Cuba a des prisonniers politiques, mais peut-être pas autant que certains le prétendent ».

Et « depuis que la nouvelle méthode consiste à procéder à des arrestations de court terme, il est difficile d'établir avec certitude le nombre de ces prisonniers ».

Car depuis l'arrivée au pouvoir de Raúl Castro en 2006, les autorités privilégient les brèves interpellations aux lourdes condamnations éveillant l'attention internationale.

« La question des prisonniers politiques devient moins pertinente lorsque la tactique de l'État consiste à multiplier les arrestations de courte durée », juge Louise Tillotson, d'Amnistie, mais cette pratique vise aussi à « intimider et harceler » l'opposition.

En 2015, la CCDH a dénombré 8616 arrestations - pour la plupart de courte durée et concernant souvent le mouvement dissident des Dames en Blanc - pour motifs politiques, contre 8889 en 2014.