Il n'y aura bientôt plus de farine de maïs. La production de pain et de pâtes ralentit. Le principal brasseur du pays a déjà cessé de produire de la bière. Les Vénézuéliens «ont faim» et le président Nicolás Maduro pourrait tôt ou tard être écarté du pouvoir. Quatre questions pour comprendre la crise dans laquelle s'enfonce le pays.

Y aura-t-il un référendum pour démettre le président de ses fonctions ?

Probablement, mais plus tard que tôt, croit Hugo Loiseau, professeur à l'Université de Sherbrooke et codirecteur de l'Observatoire des Amériques de l'Université du Québec à Montréal. Selon lui, le gouvernement vénézuélien tente de gagner du temps, car si un référendum révocatoire devait avoir lieu après le 10 janvier et que le président Nicolás Maduro était démis de ses fonctions, c'est le vice-président qui lui succéderait. Avant cette date, de nouvelles élections devraient plutôt être organisées. Donc, les gens chargés de vérifier les signatures réclamant la tenue d'un tel référendum « prennent leur temps », estime le professeur Loiseau. Ce processus « très complexe » compte d'ailleurs plusieurs étapes : si le nombre de signatures requises - 1 % des électeurs ayant voté à la dernière élection - est bel et bien recueilli, les opposants au président Maduro devront ensuite récolter les signatures de 20 % des électeurs pour que le Conseil national électoral se saisisse de la question et organise le référendum.



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Après avoir proclamé « l’état d’exception » lundi, le président Nicolás Maduro a vivement haussé le ton hier, invoquant une « fraude » pour invalider un projet de référendum qui l'évincerait.

Est-ce que la situation est comparable à celle du Brésil ?

La crise politique brésilienne est « plus institutionnelle », estime Hugo Loiseau, puisque la procédure de destitution de la présidente Dilma Roussef a été engagée par les parlementaires. Au Venezuela, c'est la gronde populaire qui pourrait chasser le président Nicolás Maduro du pouvoir. Ironiquement, c'est son prédécesseur et mentor, le défunt président Hugo Chávez, qui a rendu la chose possible en introduisant le « pouvoir populaire » dans la Constitution, permettant ainsi que chaque élu puisse être révoqué à la mi-mandat, explique le professeur Loiseau. Le président Chávez avait d'ailleurs fait face à un tel référendum en 2004, et l'avait remporté. « Mais à ce moment-là, il était au sommet de sa popularité », rappelle Hugo Loiseau, qui estime que ce n'est pas le cas du président Maduro, « car la situation est catastrophique ». Sept Vénézuéliens sur dix réprouvent la gestion de leur président, selon un sondage de l'institut Venebarometro.

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La grogne se fait de plus en plus entendre dans les rues, alors qu'un récent sondage de l'institut Venebarometro démontre que sept Vénézuéliens sur dix réprouvent la gestion du président Nicolás Maduro.

Comment se traduit la crise au quotidien ?

« Les gens ont faim », résume Hugo Loiseau. Les interruptions se multiplient dans les usines qui fabriquent du pain et des pâtes, la production de sucre a chuté, la plus importante entreprise du secteur alimentaire du pays, Polar, a indiqué qu'elle devra cesser la production de farine de maïs à la fin du mois, elle qui a déjà cessé de produire de la bière. Résultat : des heures d'attente devant les supermarchés de plus en plus vides, et de plus en plus la cible de pillages. Au manque de matières premières, faute de devises pour payer les fournisseurs internationaux, s'ajoutent les délestages électriques, qui forcent les usines à réduire la cadence. Si la chute des cours du pétrole, qui représente 96 % des revenus du Venezuela, peut expliquer la crise économique actuelle, le professeur Loiseau ajoute d'autres facteurs, comme la « mauvaise gestion de l'économie » et la « corruption endémique », sans oublier la sécheresse provoquée par « El Niño, qui diminue les réserves d'eau », ce qui touche les cultures et nuit à la production d'électricité.



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Au manque de matières premières, faute de devises pour payer les fournisseurs internationaux, s’ajoutent les délestages électriques, qui forcent les usines à réduire la cadence. Résultat : des heures d’attente devant les supermarchés.

À quel point la crise peut-elle dégénérer ?

L'opposition vénézuélienne a appelé hier l'armée et la population à la désobéissance. « Je dis aux forces armées : l'heure de vérité est arrivée, celle de décider s'ils sont avec la Constitution ou avec Maduro », a lancé dans une entrevue à la radio Henrique Capriles, candidat défait à l'élection présidentielle de 2013 devant Nicolás Maduro. Lundi soir, le président a proclamé « l'état d'exception », un décret qui « consiste à suspendre les droits et libertés des citoyens » durant 60 jours, explique Hugo Loiseau. La limitation du droit de manifester n'est pas explicitement mentionnée, mais le décret permet au gouvernement d'appliquer des « plans spéciaux de sécurité qui garantissent le maintien de l'ordre public ». Il octroie également à des comités de citoyens des pouvoirs de surveillance et de maintien de l'ordre, ce qui fait craindre des affrontements civils, alors que de nouvelles manifestations sont prévues aujourd'hui. Le président Maduro, qui affirme que des « menaces extérieures » tentent de déstabiliser le Venezuela, a accusé hier les États-Unis d'intrusion dans l'espace aérien vénézuélien, la semaine dernière. La veille, il avait ordonné « des exercices militaires nationaux » pour se « préparer à n'importe quel scénario ».

- Avec l'Agence France-Presse

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Le chef de l'opposition Henrique Capriles  a appelé hier l'armée et la population à la désobéissance. « Je dis aux forces armées : l'heure de vérité est arrivée, celle de décider s'ils sont avec la Constitution ou avec Maduro », a-t-il lancé dans une entrevue à la radio.