Un président tout juste démissionnaire, devant le tribunal après avoir passé la nuit en cellule: c'est dans ce contexte historique, sur fond de liesse populaire, que le Guatemala vivait vendredi la dernière journée de la campagne électorale en vue de la présidentielle et des législatives.

Redevenu simple justiciable, Otto Perez, accusé de diriger un vaste réseau de corruption au sein des douanes, était à nouveau entendu par un juge, après avoir passé la nuit en garde à vue.

À l'issue de l'audience, le magistrat décidera de son éventuel placement en détention provisoire.

L'ancienne vice-présidente, Roxana Baldetti, est aussi incarcérée dans la même affaire, accusée d'avoir touché, entre mai 2014 et avril 2015, 800 000 dollars en pots-de-vin et des cadeaux en nature, tout comme Otto Perez, via un réseau qui aurait détourné 3,8 millions sur la même période.

La révélation de ce scandale est à mettre au compte du travail commun du parquet et de la Commission de l'ONU contre l'impunité (Cicig), mission indépendante et «seule occasion» d'enfin s'attaquer à la corruption au Guatemala, a confié dans un entretien avec plusieurs médias, dont l'AFP, son responsable, l'ex-magistrat colombien Ivan Velasquez.

Dimanche, pour le premier tour des élections présidentielles, législatives et municipales, les bureaux de vote ouvriront à 7 h 00, avec 7,5 des 15,8 millions d'habitants appelés aux urnes.

Les premiers résultats devraient être connus après 21 h 00, les deux candidats à la présidentielle arrivés en tête devant se départager le 25 octobre.

«Voter, c'est faire que le Guatemala rugisse plus fort», proclament des affiches illustrées d'un jaguar dans les rues de la capitale, actuellement en pleine saison des pluies.

Le scrutin est organisé dans un climat inhabituel, des milliers de Guatémaltèques ayant demandé, en vain, son report, tout comme ils ont exigé pendant des mois le départ d'Otto Perez, à la tête de l'État depuis 2012.

Ce dernier, dont le mandat courait jusqu'au 14 janvier prochain, a finalement cédé et démissionné mercredi, remplacé par son vice-président Alejandro Maldonado, suscitant des scènes de liesse.

Mais les manifestants, qui n'ont cessé de protester pacifiquement chaque semaine depuis avril, réclament d'aller plus loin, exigeant un changement de système politique.

C'est un mouvement d'indignation «sans précédent dans l'histoire du Guatemala», avec un message clair : «Nous portons le poids de la corruption, trop c'est trop», analyse Adriana Beltran, spécialiste de ce pays au Bureau de Washington sur l'Amérique latine (WOLA).

Corruption et votes achetés

Dans un entretien avec l'AFP, la militante indigène Rigoberta Menchu, prix Nobel de la paix 1992, saluait mardi «le grand réveil de la population», mais montrait son inquiétude pour dimanche, espérant «passer cette journée du 6 septembre sans tache de sang».

Le secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon, a quant à lui appelé «tous les Guatémaltèques à faire en sorte que les élections se déroulent dans un environnement pacifique», dans un pays où 6000 morts violentes sont enregistrées chaque année.

Signe d'un renversement de situation, l'humoriste Jimmy Morales, candidat d'un parti de droite et sans expérience politique, est désormais en tête de la course à la présidentielle, selon un sondage publié jeudi.

À 46 ans, il est crédité de 25% des suffrages, dépassant Manuel Baldizon (droite, 22,9%), le favori jusqu'alors, et la social-démocrate Sandra Torres, ex-Première dame, avec 18,4%.

Manfredo Marroquin, directeur de l'ONG Accion Ciudadana, branche locale de l'organisation anticorruption Transparency International, ne cache pas son pessimisme, l'achat des votes étant monnaie courante au Guatemala.

Les voix sont acquises via la distribution de sacs d'aliments ou des tirages au sort pendant les réunions, pour offrir des motos ou des bicyclettes, raconte M. Marroquin, 53,7% de la population du Guatemala vivant sous le seuil de pauvreté, selon la Banque mondiale.

«Malheureusement, la grande majorité des partis politiques n'ont que des paroles de bonne volonté et aucun plan concret» pour lutter contre la corruption, car celle-ci apporte «50% (de leur) financement», dénonce aussi Jonathan Menkos, directeur de l'Institut centraméricain d'études fiscales (Icefi).

«Marche funèbre» à la veille d'un scrutin

Les Guatémaltèques sont appelés samedi à réaliser une «marche funèbre» pour dénoncer la tenue des élections générales dimanche, un scrutin rejeté par une partie de la population excédée par la corruption, avec un ex-président en garde à vue.

«Nous allons manifester notre refus face à des élections imposées, immorales, illégales et illégitimes, nous nous fondons sur le droit à la désobéissance citoyenne et à la résistance civile», déclare à l'AFP Isabel Juarez, 45 ans, membre du collectif «Un autre Guatemala, maintenant», un des organisateurs.

À partir de 15 h 00 (17 h 00, heure de Montréal), un «enterrement électoral» sera organisé, les participants étant appelés à se vêtir de noir, voire à porter de faux cercueils, pour parcourir les rues de la capitale, Ciudad de Guatemala, actuellement en pleine saison des pluies.

«Nous sommes en deuil, car nous considérons que les élections sont un processus mort, sans réformes et avec beaucoup de gens impliqués dans des actes de corruption», explique Isabel Juarez.

Alors que le pays centraméricain vit un moment de mobilisation populaire sans précédent, avec des protestations pacifiques organisées chaque samedi depuis avril, il est probable que d'autres manifestations spontanées se joignent à cette marche funèbre.

Le mot d'ordre: «Cela ne fait que commencer».

Cette marche survient au terme d'une semaine rocambolesque : mardi, le président conservateur Otto Pérez, accusé de diriger un vaste réseau de corruption au sein des douanes, a été privé de son immunité par le Parlement, pour la première fois dans l'histoire du Guatemala.

Mercredi, il a remis sa démission - son vice-président, Alejandro Maldonado, a pris la suite -, réclamée depuis des mois par les manifestants.

Jeudi soir, l'ex-général de 64 ans a passé sa première nuit en prison, placé en garde à vue où il restera jusqu'à mardi, quand reprendra son audition.

Si ces différentes étapes ont été accueillies par une véritable joie populaire, de plus en plus de voix critiquent le maintien des élections, exigeant une refonte du système politique pour le purger de la corruption endémique.

«Plus de légitimité»

Dimanche, 7,5 des 15,8 millions d'habitants sont appelés à désigner un nouveau président, 158 députés et 338 maires.

«Les élections ont perdu tout leur crédit, elles n'ont plus de légitimité», affirmait mardi à l'AFP la militante indigène Rigoberta Menchu, 56 ans, prix Nobel de la Paix 1992, appelant toutefois à voter, car «il n'y a pas d'alternative».

Sur les 14 candidats à la présidentielle, trois se détachent du lot : l'humoriste Jimmy Morales, candidat de droite sans expérience politique, crédité de 25% des suffrages dans un sondage publié jeudi, suivi de Manuel Baldizon (droite, 22,9%) et de la social-démocrate Sandra Torres, ex-Première dame (18,4%).

«Je suis le seul candidat qui aujourd'hui n'est pas signalé pour ses liens avec des actes de corruption», clame Jimmy Morales, 46 ans, dans un entretien à l'AFP.

«La corruption a atteint ce niveau en raison de l'indifférence» de la population, dit-il, promettant d'y remédier par une politique de «portes ouvertes comme garantie de la transparence de ce que nous voulons faire».

Ce candidat, qui se veut anti-establishment, a fait une percée surprise dans les sondages ces dernières semaines.

Mais s'il est élu à l'issue du second tour programmé le 25 octobre, il aura fort à faire.

«Celui qui va arriver au pouvoir, qui que ce soit, sera très surveillé», prévient Alvaro Montenegro, étudiant de 27 ans qui fait partie des organisateurs des premières manifestations, en avril.

«La crise ne se termine pas avec les élections, elle va continuer», renchérit Manfredo Marroquin, directeur de l'ONG Accion Ciudadana, branche locale de l'organisation anticorruption Transparency International.

Selon lui, la frustration populaire fait que la journée «pourrait très facilement dégénérer en violence», dans ce pays majoritairement pauvre et miné par le crime organisé.

Le secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon, a justement plaidé pour «un environnement pacifique» le jour du vote.