Principal allié du régime cubain, le Venezuela se retrouve isolé après l'annonce du rapprochement entre Cuba et les États-Unis, ce qui pourrait forcer le président Nicolas Maduro à infléchir son discours anti-américain, dans un contexte de grave crise économique.

«Cette annonce bouscule le gouvernement de Maduro dans sa politique envers les États-Unis, y compris dans le discours politique en interne, qui était fondé en grande mesure sur la lutte anti-impérialiste et la condamnation de l'embargo américain sur Cuba», explique à l'AFP le politologue Nicmer Evans, d'un courant critique du chavisme.

Dès mercredi le principal opposant, Henrique Capriles, a mis la pression sur Maduro : «pendant que Cuba cherche à améliorer ses relations diplomatiques et commerciales avec les États-Unis, le gouvernement de Nicolas cherche à empirer les siennes, pour les utiliser comme écran de fumée et détourner l'attention de la grave crise économique et sociale que nous vivons».

Affichant une inflation annuelle de plus de 60% et une grave pénurie qui touche 40% des biens de première nécessité, le Venezuela serait proche du défaut de paiement selon de nombreux analystes.

La situation s'aggrave de jour en jour avec la chute des cours du pétrole, dans ce pays qui dispose pourtant des plus importantes réserves de brut au monde... et qui est aussi le principal soutien économique de Cuba.

Cet aspect a sans doute joué un rôle-clé dans la réconciliation historique annoncée mercredi, Cuba craignant que la mauvaise santé de son allié n'affecte l'aide qu'il apporte à l'île.

Venezuela fournit 60% de son pétrole, avec des facilités de paiement, et lui achète les services de quelque 40 000 professionnels, dont 30 000 médecins et infirmiers.

Pour l'économiste cubain Pavel Vidal, de l'université de Cali (Colombie), le rapprochement «est un effort de plus que fait le gouvernement (cubain) pour diversifier son économie et réduire la dépendance du Venezuela».

Il calcule qu'en cas d'interruption du commerce entre Caracas et La Havane, Cuba plongerait dans «quatre années de récession».

«Cuba a vécu l'expérience de la période spéciale dans les années 1990, quand le soutien économique des pays du Pacte de Varsovie a soudainement chuté», raconte Milos Alcalay, diplomate qui fut vice-ministre des Affaires étrangères du pays.

Donc «la crise économique structurelle au Venezuela a mené (le président cubain Raul) Castro à chercher une alternative pour ne pas être pris par surprise».

Compagnon de diatribe 

La surprise a été pour le Venezuela car, pendant qu'il négociait secrètement avec les États-Unis en vue d'un rapprochement, «tout indique que (Raul) Castro n'a pas parlé de cela avec Maduro», selon Milos Alcalay.

Jusqu'à présent, Caracas avait trouvé en l'île communiste un compagnon de diatribe anti-américaine.

Désormais, «il est significatif qu'au moment où la confrontation verbale du Venezuela envers les États-Unis remonte d'un cran, Cuba adopte cette position constructive», note le diplomate : «la ligne de radicalisation de Maduro face aux États-Unis contraste avec la voie du dialogue adoptée par Cuba, mais cela pourrait changer».

Imitant la posture de son prédécesseur et mentor Hugo Chavez décédé en 2013, Nicolas Maduro est habituellement très acerbe envers les États-Unis, et les deux pays n'ont plus d'ambassadeur dans leurs capitales respectives depuis 2010.

L'annonce récente de sanctions prévues par le Congrès américain contre les Vénézuéliens impliqués dans la répression de manifestations n'avait fait qu'accentuer sa virulence.

«Idiots», disait encore le dirigeant chaviste il y a quelques jours, qualifiant ces sanctions de «stupides».

Mercredi, avant l'annonce historique de Raul Castro et Barack Obama, Nicolas Maduro essayait d'ailleurs de convaincre Brésil, Argentine, Uruguay et Paraguay, réunis avec lui pour le sommet du Mercosur en Argentine, de soutenir une déclaration contre les États-Unis, en raison de ces sanctions.

Quelques heures plus tard, le ton avait nettement changé : «le geste d'Obama est courageux et nécessaire pour l'Histoire», saluait-il.

«Les difficultés économiques croissantes du Venezuela et les troubles potentiels pourraient l'inciter à considérer ces meilleures relations comme une possible menace à long terme», souligne le cabinet de conseils américain Stratfor.

Pour y remédier, il pourrait être tenté d'imiter Raul Castro : «Maduro pourrait avoir une motivation supplémentaire pour chercher son propre rapprochement avec les États-Unis», ajoute le cabinet, rappelant que des discussions ont été menées ces derniers mois, pour l'instant sans succès.