Légalisation de la vente de marijuana, de l'avortement et du mariage gai: le deuxième tour de l'élection présidentielle en Uruguay, qui se déroule dimanche, a des allures de référendum sur les initiatives mises de l'avant au cours des cinq dernières années par le coloré chef d'État, José Pepe Mujica. Et tout indique que les électeurs valideront cet héritage en portant son dauphin au pouvoir.

Sur la place Constitución du centre-ville de Montevideo, Nelson Rodriguez tire une bouffée sur un joint, qui embaume l'air de cette odeur caractéristique des rues de la capitale de l'Uruguay.

«Je vais voter Tabaré, simplement parce qu'il veut que la loi sur le cannabis aille de l'avant», dit le jeune électeur de 18 ans, les yeux vitreux.

En 2013, l'Uruguay est devenu le premier pays au monde à légaliser la vente de marijuana (sous la direction de l'actuel président, José Mujica). La loi doit entrer en vigueur avant l'entrée en poste du nouveau président, au mois de mars. La drogue sera ainsi vendue aux citoyens uruguayens seulement, dans les pharmacies, pour éviter que le pays ne devienne une destination touristique comme Amsterdam.

La constitution ne permettant pas deux mandats présidentiels consécutifs, José Mujica ne peut se présenter à sa succession, malgré sa grande popularité.

Les Uruguayens risquent fort, dimanche, de voter pour son dauphin, Tabaré Vázquez. Cet oncologue de 74 ans a été le premier président de gauche du petit pays de 3,3 millions d'habitants de 2005 à 2010. Il a récolté près de 48 % des suffrages au premier tour. Le candidat de centre droit, l'ambitieux avocat Luis Lacalle Pou, 41 ans, a quant à lui convaincu 31 % de l'électorat.

Si Luis Lacalle Pou a déjà promis de renverser la loi sur la marijuana, Tabaré Vázquez n'est pas son plus ardent défenseur non plus. Le gouvernement Mujica a donc quelques mois pour prouver son bien-fondé.

Vers un troisième mandat

Dans le quartier populaire du Cerro, partout, les murs sont peinturés de bleu, blanc et rouge, les couleurs du Frente Amplio (FA), le parti de José Mujica et de Tabaré Vázquez. Au terminus d'autobus, assise à son kiosque sous une grande toile qui la protège du soleil, Roxana Riveros, 48 ans, vend des vêtements pour bébé.

«Moi, je vote Tabaré! dit-elle. Ici, à 18 ans, les femmes ont déjà deux ou trois enfants. Au cours de la dernière décennie, avec le FA, je remarque qu'on les accompagne beaucoup plus, qu'elles sont moins pauvres. On vit ici avec plus de dignité.»

Professeur de sciences politiques à l'Université de la république d'Uruguay, Jorge Lanzaro croit que cette élection est gagnée d'avance pour Tabaré Vázquez. «On s'attendait à ce que le centre droit soit beaucoup plus compétitif, note-t-il. Mais les gens se sont mobilisés pour donner un troisième mandat à la gauche. Il ne reste qu'à savoir à quel point elle va triompher.»

Les années Mujica

José Mujica peut se vanter d'avoir fait fondre le taux de pauvreté, qui est passé de 40 % en 2005 à 11,5 % en 2013. La croissance du PIB atteignait 4,4 % l'an dernier. Sans parler de sa personnalité extravagante, qui l'a élevé au rang de vedette internationale. Cet ancien guérillero emprisonné pendant 13 ans donne 90 % de son salaire à des oeuvres de charité, il roule en vieille «Beetle» et il habite toujours sa modeste ferme en périphérie de Montevideo.

Toutefois, les années Mujica ont aussi été marquées par une hausse de l'insécurité, principalement dans la capitale, où vit la moitié de la population uruguayenne. Vendeuse ambulante de sous-vêtements du quartier pauvre de Santa Catalina, Norma Suarez n'ose même plus revenir chez elle à pied le soir. «Depuis deux ans, je n'ai jamais vu autant de violence! dit cette femme de 55 ans. Tous les jours, je vois des vols, des bagarres. J'ai peur qu'on m'attaque quand j'attends l'autobus quand il fait nuit.»

Pour remédier à la situation, Luis Lacalle Pou, le fils d'un ancien président, promet de faire passer l'âge d'imputabilité pénale des adolescents de 18 à 16 ans.

Rencontré dans le vieux port de la capitale, l'homme d'affaires Andres Tissone espère toujours une victoire du candidat de centre droit. «Mais je ne me fais pas d'illusion. C'est dommage, parce qu'on a vraiment besoin de changement, de sang plus jeune! Même avec une décennie de croissance économique, on n'a vu aucun impact sur la sécurité, l'éducation et la santé.»

Même s'il tire sa révérence de la présidence, Don Pepe ne délaisse pas la politique. Il siégera au Sénat à partir de mars et demeure donc à la tête du groupe le plus influent au sein de la gauche, qui détient la majorité au parlement. «Mujica est toujours très puissant, dit M. Lanzaro. Il ne sera jamais bien loin!»