La nostalgie du parti centriste, le PRI, qui a gouverné le pays pendant 71 ans jusqu'en 2000, s'empare d'une frange importante de l'électorat mexicain. Son candidat Enrique Peña Nieto, as des magouilles à l'ancienne mode, est le favori à la présidentielle de dimanche. Mais la gauche espère toujours.

«Le PRI a beaucoup fait pour nous.» Cette phrase est sur toutes les lèvres à Chalco. Cette banlieue pauvre de la capitale est située dans l'État de Mexico, le plus peuplé du pays, dont Enrique Peña Nieto a été gouverneur de 2005 à 2011. Dans ce bastion du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI), tout le monde espère le voir devenir président. «J'ai toujours voté pour le PRI, avec le coeur», indique Victorino Vergara Pérez, un agriculteur de la région qui assiste à une réunion du parti.

«Dans l'État de Mexico, 30 % des électeurs sont disposés à vendre leur vote en échange d'une compensation économique ou en nature», explique Aldo Muñoz, un politologue qui a enquêté sur le clientélisme et le marchandage de faveurs dans cette région. Ces pratiques illégales, désormais utilisées par tous les partis, étaient à l'origine la marque de fabrique du PRI. Le parti de Peña Nieto a installé sa domination sur la région en exerçant le chantage social: les votes étaient récompensés par des aides économiques, des rues asphaltées ou des centres de santé, ce qui créait dans la population l'impression d'avoir une dette envers le «bienfaiteur». L'écrivain péruvien Mario Vargas Llosa avait qualifié de «dictature parfaite» le régime du PRI qui a régné de 1929 à 2000: une dictature qui prend l'apparence d'une démocratie. Il y a des élections, mais un seul vainqueur possible et le parti unique achète un électorat qui lui en est reconnaissant.

«Enrique Peña Nieto représente cette machinerie de corruption politico-électorale», estime Irma Sandoval, du Laboratoire d'analyse de la corruption de l'Université nationale autonome de Mexico. Le candidat du PRI semble devoir remporter la présidence, et le parti renouveller sa majorité au Congrès. Rien ne semble les égratigner. Ni les scandales de corruption qui touchent plusieurs ex-gouverneurs du parti, ni les révélations publiées par le quotidien britannique The Guardian au sujet de contrats secrets signés en 2005 entre Peña Nieto et le puissant groupe médiatique Televisa pour promouvoir son image de sauveur providentiel du pays et plomber la candidature de son adversaire de gauche, Andrés Manuel López Obrador.

Ce dernier a exhibé mercredi la force populaire qui le soutient en remplissant le Zocalo, grande place de Mexico, de milliers de partisans, qui affirmaient ironiquement n'avoir reçu aucun cadeau en échange. Le point d'orgue d'une campagne plutôt réussie pour le candidat du Parti de la révolution démocratique (PRD), qui avait réduit l'écart le séparant de Peña Nieto. En 2006, López Obrador avait accusé Felipe Calderón de lui avoir volé l'élection. Aujourd'hui, son entourage brandit de nouveau le risque d'une fraude électorale destinée à évincer le PRD. Mais un fol espoir anime la gauche: créer la surprise dimanche et barrer la route au rouleau compresseur électoral du PRI.

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Les principaux enjeux des élections

L'insécurité et la violence liées au trafic de drogue

La collusion des forces de police avec le crime organisé étant l'un des principaux obstacles à la sécurité et à la lutte contre le narcotrafic, les candidats à la présidentielle ont centré leurs propositions sur la nécessité de construire une force de police honnête, professionnelle et efficace. Tous les aspirants à la présidence ont manifesté leur intention de maintenir provisoirement les militaires affectés à la lutte contre les cartels dans les zones sensibles où ils avaient été déployés par le président Felipe Calderón, avant de les remplacer par une police fiable. Andrés Manuel López Obrador, candidat de gauche, a insisté sur la nécessité d'offrir aux jeunes une éducation de qualité et des emplois pour les empêcher de tomber dans la délinquance. Il est disposé à envisager une légalisation du cannabis; les autres candidats s'opposent à la légalisation des drogues, mais admettent la nécessité d'un débat sur le sujet.

La corruption

C'est l'un des plus graves problèmes du pays. «Le cancer de la corruption est dans la moelle osseuse du système politique et économique mexicain et il asphyxie la société», juge Irma Sandoval, coordinatrice du Laboratoire d'analyse de la corruption de l'Université nationale autonome de Mexico. Pourtant, les candidats ont fait peu de propositions pour lutter contre ce fléau. Josefina Vázquez Mota (droite) s'engage à faire condamner les élus politiques reconnus coupables de liens avec le crime organisé à la prison à perpétuité. La corruption est aussi un problème économique et social, car les Mexicains consacrent en moyenne 14 % de leurs revenus au paiement de pots-de-vin.

L'économie

Au cours des 10 dernières années, le pays a montré une croissance très faible de 2 % par an en moyenne. Pour augmenter les revenus de l'État, certains candidats proposent une réforme fiscale en profondeur et une réforme de la société pétrolière publique Pemex afin de permettre les investissements privés et étrangers. Les candidats appellent également à mettre en valeur le tourisme.

La pauvreté

la moitié de la population mexicaine vit dans la pauvreté. Certains candidats proposent de limiter le prix des aliments et des services de base. Ils s'engagent à étendre le système de sécurité sociale, notamment aux travailleurs informels. Quelque 45 % de la population active - 66 % lorsqu'il s'agit des jeunes - travaille dans l'économie informelle. Enrique Peña Nieto, candidat centriste, a promis d'offrir aux mères célibataires une assurance vie afin de garantir la sécurité économique de leurs enfants.

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Paroles de Mexicains

Qu'attendent les Mexicains de cette élection? Quels changements veulent-ils? Pensent-ils que le Mexique est une démocratie?

Francisco Román Romero, chauffeur de bus (Ixtapaluca, État de Mexico): «J'espère que le prochain président résoudra les problèmes d'insécurité. Quelqu'un doit mettre de l'ordre dans tout ça.»

Porfirio Muñoz Ledo, député de gauche (Mexico): «Le Mexique n'est pas encore arrivé à la démocratie. Il y a eu une pluralisation du système, un partage du pouvoir. Nous avons obtenu une certaine démocratie électorale, mais pas encore une démocratie complète.»

Jonathan Ruiz, étudiant en journalisme (Mexico): «Il faut une démocratisation des médias, une information libre. Les télévisions ont voulu nous imposer un candidat.»

Raquel Ramírez, femme au foyer (Nezahualcoyotl, État de Mexico): «Quand le PRI gouvernait, notre pouvoir d'achat était plus élevé. Avec la droite, tout a augmenté sauf les salaires. Il y a un vrai problème d'emploi. Nous vivons au jour le jour. Le PRI aide réellement les gens. Et Peña Nieto est un politicien qui respecte ses engagements.»

Lourdes Morales, politologue (Mexico): «Au cours des dernières années, il y a eu des avancées en matière de droits. Mais le PRI ne tolère pas la critique et Peña Nieto a réprimé des manifestations quand il était gouverneur. Si le PRI retourne au pouvoir, je ne suis pas sûre qu'on conservera les libertés politiques conquises.»

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Les chiffres de l'élection

4 candidats à l'élection présidentielle

500 députés

128 sénateurs

6 gouverneurs

876 maires vont être élus

84 millions d'électeurs se rendent aux urnes

25 % des électeurs sont indécis

1,7 milliard de pesos (125 millions CAN) ont été dépensés par les partis pour la campagne électorale

2806 Mexicains résidant au Canada ont déjà voté par courrier

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Les derniers sondages (compilation de cinq sondages):

Enrique Peña Nieto (Parti révolutionnaire institutionnel, centre): entre 33 et 41 %

Andrés Manuel López Obrador (Parti de la révolution démocratique, gauche): entre 27 et 31 %

Josefina Vázquez Mota (Parti d'action nationale, droite): entre 18 et 25 %

Gabriel Quadri de la Torre (parti Nouvelle Alliance, centre droite): entre 2 et 4 %