Le club des leaders sud-américains de gauche compte un nouveau membre: Ollanta Humala, 48 ans, président du Pérou. Mais sa victoire aux élections de dimanche suscite peu d'allégresse chez ses électeurs. Pour plusieurs, un vote pour Humala était surtout un vote contre sa principale rivale, symbole de la dictature passée. Pour rassurer ses concitoyens, Ollanta Humala promet de s'inspirer davantage du Brésilien Lula da Silva que du Vénézuelien Hugo Chavez.

«Un ami m'a dit: je suis heureux que Keiko Fujimori ait perdu, mais triste qu'Ollanta Humala ait gagné.» À Lima, hier, Alberto Vergara, doctorant en sciences politiques de l'Université de Montréal, a sondé l'humeur de ses compatriotes au lendemain du scrutin. La réaction de son ami résumait bien le sentiment de dépit qui habitait beaucoup d'électeurs. «Pour plusieurs, il fallait voter pour le moins mauvais des deux candidats.»

Moins éclatante que la victoire de Morales en Bolivie ou de Chavez au Venezuela, l'élection d'Ollanta Humala est d'abord une «victoire de la démocratie sur la dictature», a dit l'écrivain péruvien et Prix Nobel de littérature Mario Vargas Llosa.

L'histoire d'Ollanta Humala est d'ailleurs liée de près au régime dictatorial d'Alberto Fujimori (1990-2000), père de la candidate Keiko Fujimori et aujourd'hui en prison pour corruption et violations des droits de l'homme. Humala a participé à la tentative de coup d'État en 2000, juste avant la démission de Fujimori.

Âgé de 48 ans, quechua comme la majorité des Péruviens, Humala a le soutien des classes plus pauvres et suscite la crainte dans les milieux financiers. Preuve de la nervosité ambiante: hier matin, la Bourse de Lima a chuté de 12,51%.

«Le pays a une croissance de 9% par année, note Alberto Vergara. Bien sûr, il y a des problèmes de redistribution des richesses. Mais on ne peut pas tuer le modèle qui est en train de créer la richesse.» Humala a notamment gagné après avoir accru ses appuis de 20 points de pourcentage entre le premier et le second tour. «Ces gens ne veulent pas qu'on change le système économique et veulent qu'on maintienne le système démocratique.»

Un flou

Par contre, «quand Humala a commencé sa campagne, il portait un certain nombre de casseroles», rappelle Camille Boutron, de l'Observatoire politique de l'Amérique latine et des Caraïbes. Il devait notamment avoir en 2006 un procès sur des exactions commises dans une région où il a servi comme militaire. «Les témoins se sont tous désistés au moment du procès», dit Mme Boutron. Humala n'a pas non plus pris ses distances de son frère, membre d'un mouvement nationaliste radical, qui a participé à une prise d'otages sanglante dans un commissariat de police en 2005.

Sa victoire incontestable mais serrée laisse présager qu'il ne basculera pas à gauche autant que ses voisins sud-américains. Critiqué pour ses affinités avec le président vénézuélien lors des élections de 2006, il dit aujourd'hui qu'il sera «plus Lula que Chavez», mais il laisse ses électeurs dans le doute sur ses intentions réelles. «Il se passera peut-être ce qui se passe généralement quand la gauche gagne dans un pays qui n'est vraiment pas gauchiste: la frange populaire, qui attend beaucoup de lui, sera déçue, dit Camille Boutron. Mais si ça arrive, c'est qu'il sera resté démocrate!»

Si l'arrivée d'Humala inquiète plusieurs Péruviens, certains craignent surtout... sa femme, Nadine Heredia. «Une femme parfaite, dit Camille Boutron. À mon avis, le vrai président, c'est elle! Beaucoup de Péruviens me disent qu'Ollanta, ça va. Mais ils ont peur de Nadine...»