L'assassinat cette semaine en Colombie de trois leaders paysans luttant pour récupérer des terres prises par des paramilitaires illustre le défi auquel fait face le gouvernement, décidé à restituer deux millions d'hectares aux paysans pauvres.

«Nous n'allons pas permettre que les auteurs de violences paralysent une politique qui est pour nous fondamentale», a réagi vendredi le président colombien Juan Manuel Santos, qui a lancé en septembre l'ambitieux plan de restitution.

L'une des victimes, David Goez Rodriguez, 70 ans, représentait 120 familles réclamant la restitution de quelque 20 000 hectares de terres, dont elles avaient été spoliées notamment par les frères Castano, fondateurs en 1997 de la milice d'extrême droite des AUC (Autodéfenses unies de Colombie).

Mercredi il a été tué par balles à Medellin, ville où il s'était réfugié pour fuire les menaces le visant.

Le même jour, deux autres leaders paysans ont été tués: Ever Verbel Rocha, dont le frère avait été assassiné six ans plus tôt, à San Onofre (département de Sucre, nord-ouest) et Bernardo Rios Londoño, à San José de Apartado (département d'Antioquia, nord-ouest).

Selon les autorités, au total neuf représentants des paysans ont été tués depuis le mois d'août 2010.

L'ONG Forjando Futuro de Medellin, impliquée dans la défense des paysans, estime qu'une cinquantaine de militants de la restitution ont été tués depuis 2002.

La multiplication des assassinats intervient alors que le gouvernement s'est engagé à restituer aux paysans deux millions d'hectares de terres dans ce pays où, selon les spécialistes, la répartition inégale de la propriété agraire est la cause même du conflit armé impliquant guérillas, bandes criminelles en partie composées d'anciens paramilitaires et l'armée.

Christian Salazar, délégué en Colombie du Haut commissariat de l'ONU pour les droits de l'Homme, a condamné vendredi ces crimes et demandé à l'Etat «de revoir en profondeur les programmes et politiques de protection» des paysans.

Ces meurtres surviennent en outre alors que, selon les autorités, les bandes composées d'anciens paramilitaires démobilisés à partir de 2003, suite à la dissolution par l'État de ces milices, ont gagné du terrain.

Elles sont actives dans la moitié des départements du pays, où elles contrôlent des activités illégales (trafic de cocaïne) mais aussi légales, notamment dans l'agriculture.

David Goez avait donné devant le parquet l'identité d'un des prête-nom des frères Castano, gérant certaines des terres dont lui et les membres de son association avaient été spoliés, a raconté à l'AFP Gerardo Vega, un avocat proche de la victime.

Menacé, il était revenu sur ses déclarations. «Il s'est rétracté....et ensuite a été tué. Ils lui ont tendu un piège», a déclaré l'avocat.

«Il y a davantage d'assassinats car les terres sont restituées et on cherche à décourager les plaintes» de victimes, estime aussi Carmen Palencia, de l'ONG Terre et vie, impliquée dans la défense des «sans-terres» et récompensée en décembre par un prix franco-allemand pour son action en faveur des droits de l'Homme.

Carmen Palencia, qui affirme que sa tête est mise à prix, circule en voiture blindée, avec trois gardes du corps et avoue avoir «peur».

«Les voitures blindées ne suffisent pas. Il faut une politique globale de sécurité. Les pouvoirs impliqués - mêlant entrepreneurs et groupes armés - sont trop forts», dénonce aussi Nora Saldarriaga, directrice de l'ONG Forjando Futuro en exigeant que soient divulguées les identités de «tous les prête-noms».

Mi-mars, le gouvernement a annoncé la création d'un «centre de renseignement» destiné à protéger ces victimes. Il n'a pas pu éviter les trois crimes de cette semaine.