Jean-Bertrand Aristide, qui doit rentrer jeudi en Haïti après sept ans d'exil, reste ultra-populaire auprès des plus humbles grâce à un discours populiste rôdé à l'époque où il était prêtre, même s'il a par deux fois été chassé de la présidence haïtienne.

Fine moustache, lunettes et costumes croisés, Jean-Bertrand Aristide a les attributs physiques de l'intellectuel des Caraïbes. Il en a aussi la carrure.

Justifiant à l'avance son retour dans le quotidien britannique The Guardian, il a expliqué vouloir se consacrer «au domaine que je connais le mieux et que j'aime: l'éducation», dans un pays encore meurtri par le séisme de janvier 2010.

Il n'en reste pas moins que son retour a de quoi bouleverser le cours politique du pays le plus pauvre des Amériques, à l'approche, dimanche, du deuxième tour de la présidentielle et deux mois après le retour de son ennemi intime Jean-Claude Duvalier.

Les deux hommes ne sauraient être plus antinomiques. Charismatique, lorsque «Baby Doc» se montre timide, Aristide jouit, même après sept ans d'absence, d'une popularité qui ne se dément pas. Car l'ancien président s'est allié une couche-clé de la population haïtienne: les plus humbles, dont il est lui-même issu.

Né à Port-Salut, dans le sud-ouest d'Haïti, en 1953, Aristide devient prêtre à 29 ans et se réclame de la «théologie de la libération» qui vise à donner dignité et espoir aux plus pauvres. Presqu'un programme politique en Haïti.

En 1985, Aristide fait son entrée sur la scène publique, lorsqu'il prononce ses premiers discours enflammés, en créole, contre la dictature de «Baby Doc», qui s'effondre un an plus tard.

Son engagement est tel qu'en 1988, la hiérarchie catholique l'exclut de l'ordre des Salésiens pour «incitation à la haine et à la violence et exaltation de la lutte des classes».

Deux ans plus tard, soutenu par la base de l'Église engagée et les pauvres des bidonvilles et des campagnes, il est triomphalement élu à la présidence au nom du rejet des «tontons macoutes», le bras armé du duvaliérisme, et d'un nationalisme anti-américain.

Huit mois après sa prise de fonctions, il est renversé le 30 septembre 1991 par un coup d'État militaire sanglant du général Raoul Cédras, chef de l'armée.

Exilé, il galvanise la diaspora haïtienne pour faire pression sur l'administration américaine, qui finit par intervenir militairement à Haïti avec 20 000 hommes.

Revenu au pouvoir en octobre 1994 grâce aux États-Unis - dont il considérait avant son élection «l'impérialisme plus dangereux que le sida» - Jean Bertrand Aristide n'oublie pas ses options progressistes. Après la dissolution de l'armée, il reconnaît Cuba à la veille de quitter le pouvoir le 7 février 1996.

Entretemps, il est devenu père de famille après son mariage avec une avocate américano-haïtienne, Mildred Trouillot, dont il a eu deux filles.

Malgré son retrait du pouvoir, il domine toujours la scène politique et garde sous tutelle son dauphin, René Préval, de 1996 à 2001. Son mouvement Lavalas («l'avalanche», en créole) subit toutefois d'importantes défections. L'opposition accuse M. Aristide et son entourage d'être impliqués dans des assassinats, des enrichissements illicites et le trafic de drogue. Des accusations qualifiées de «calomnies» par M. Aristide.

Il est réélu président en 2000, mais n'a pas le temps de finir son mandat: il est chassé en février 2004, sous la menace d'une insurrection conjuguée à des pressions internationales, notamment des États-Unis et de la France, qui lui reprochent son incompétence.