La récente arrestation au Panama et l'incarcération aux États-Unis de l'ex-chef de la lutte anti-drogue de Bolivie embarrassent au plus haut point le gouvernement de ce pays, troisième producteur de cocaïne au monde, et ravivent les doutes sur son efficacité contre le narcotrafic.

Le général de police retraité René Sanabria a été arrêté vendredi au Panama avec un autre Bolivien, puis extradé aux États-Unis, où il a été inculpé lundi pour trafic de drogue vers ce pays.

Sanabria occupait en 2007-08 le plus haut poste en Bolivie contre le trafic de stupéfiants: chef de la Force spéciale de lutte contre le narcotrafic (FELCN), l'unité spécialisée de la police. Depuis 2010, il dirigeait une cellule de renseignements au ministère de l'Intérieur.

Selon La Paz, il aurait supervisé en novembre l'envoi de 144 kg de cocaïne de Bolivie vers les États-Unis, via Chili et Panama. Depuis son arrestation, un colonel de police et deux officiers de renseignement ont été arrêtés en Bolivie.

D'autres sont en fuite.

Le gouvernement d'Evo Morales tente depuis malaisément de circonscrire l'incendie : pour le vice-ministre de la Défense sociale Felipe Caceres, ministre de tutelle contre le narcotrafic, il s'agit de la «trahison d'un mauvais policier», de délits «d'ordre individuel» qui ne mettent pas en cause les institutions.

«On ne s'imaginait pas (...) qu'un général de ce statut puisse être impliqué dans un trafic de drogue, et dans un réseau à l'échelle internationale», a-t-il également déclaré.

«C'est très, très grave. Avoir un général de police, commandant de la FELCN impliqué dans le narcotrafic, nous expose aux yeux du monde comme un pays avec un cancer à la tête», a commenté Ernesto Justiniano, membre de l'opposition et prédécesseur de Caceres.

«Si ce n'est pas un narco-gouvernement, qu'est-ce que c'est ?», a lancé M. Justiniano, qui fait autorité en matière de lutte contre le narcotrafic. «De plus en plus d'indices nous suggèrent que le narcotrafic a infiltré toutes ses sphères».

L'opposition de droite, sous l'éteignoir depuis la réelection de Morales fin 2009, se déchaîne.

Elle réclame la démission du ministre de l'Interieur Sacha Llorenti. Elle dénonce l'impuissance contre le narcotrafic depuis que Morales a expulsé en 2008 l'agence américaine DEA, imitant le Venezuela de son allié Hugo Chavez.

Enfin, elle rappelle l'ambiguïté d'un gouvernement dont le président est dirigeant d'un syndicat de cultivateurs de feuilles de coca -matière première de la cocaïne. Et promeut sa culture au nom des usages traditionnels.«Une série d'éléments nous font penser que la lutte contre le narcotrafic ne produit pas de résultats» a euphémisé le député d'opposition Andrés Ortega.

La Bolivie est le 3e producteur mondial de cocaïne, un volume en hausse constante à 113 tonnes (chiffres ONU en 2008) et largement sous-évalué, pour nombre d'experts comme M. Justiniano.

L'État reconnait le poids du narcotrafic -jusqu'à 3% du PIB, a récemment admis le vice-président Alvaro Garcia. Mais il revendique des progrès constants -saisies en hausse à 40 tonnes en 2010- signe selon lui que la DEA n'est pas indispensable.

M. Caceres a même déclaré cette semaine que l'arrestation de Sanabria était le fait d'une DEA revancharde, «vexée» par son expulsion.

Il a toutefois promis de coopérer avec les enquêteurs américains, tout en affirmant que la Bolivie «ignorait tout» du mandat d'arrêt américain contre le général Sanabria. Pressé de s'expliquer sur la discrète tentative de rapatriement du général dont l'opposition l'accuse, il a éludé les questions.