Plusieurs pays d'Amérique latine rendent hommage en février à Yemanja, une divinité afro-américaine dont la fête connaît un succès croissant dans cette région, attirant des milliers de fidèles et curieux.

Chaque année, ils jettent des oeillets, des cierges, des pastèques et toutes sortes d'offrandes à la mer pour remercier cette déesse aquatique, originaire d'Afrique de l'Ouest.

«Tout ce que j'ai, ce que je n'ai pas et ce que j'aurai, c'est à elle que je le dois», dit, émue, Sandra Resbani, une Uruguayenne de 58 ans. «Tu ne demandes pas de l'argent ou de gagner au loto, mais tu peux demander la santé, un travail, l'amour», explique-t-elle sur la plage Ramirez à Montevideo.

En Uruguay, chaque 2 février, les plages se transforment en gigantesque temple à ciel ouvert. Les séances de purification et les prêches se multiplient sur le sable, les fidèles font leurs offrandes en pénétrant dans l'eau jusqu'à la taille.

Le culte de Yemanja était pratiqué par les esclaves noirs, mais masqué sous des célébrations chrétiennes, ce qui vaut à la divinité d'être aujourd'hui d'être représentée sous les traits d'une Vierge.

Elle est célébrée dans plusieurs variantes à Cuba, en Haïti, au Brésil, mais aussi désormais dans des pays où la population noire est moins importante, comme au Venezuela (9%), en Uruguay (6%) ou même en Argentine, où les descendants d'esclaves sont quasiment inexistants.

Le culte de Yemanja en Amérique du Sud (hors Cuba et Haïti) est au centre du mouvement religieux afro-américain umbandista, qui fusionne des croyances africaines et chrétiennes, avec un apport amérindien.

Né au Brésil il y a moins d'un siècle, il s'est étendu à partir de 1968 en Uruguay et, ces cinq dernières années, à d'autres pays d'Amérique latine comme l'Argentine, où Yemanja où fêtée le 6 février (le 2 février au Brésil).

«Chez les fidèles il y a beaucoup de préoccupations pour la santé, l'argent, le travail, la famille, l'amour, des sujets fondamentaux qui ne sont pas abordés par les religions institutionnelles», explique Nestor Da Costa, sociologue des religions de l'Université catholique de Montevideo.

Le culte correspondrait à l'esprit de notre époque. «On demande à l'individu de s'affirmer dans tous les domaines, cela touche aussi le religieux. Chacun compose ainsi à l'intérieur d'une même religion, ou à l'extérieur, on prenant des éléments par ci par là», ajoute-t-il.

Autre atout supplémentaire: les umbandistas «n'ont pas la notion de péché et donc de la culpabilité», poursuit Renzo Pi Hugarte, anthropologue à l'Université de la République à Montevideo.

Les umbandistas croient en un créateur tout puissant, mais aussi en un panthéon d'entités associées aux «forces de la nature» ou aux saints catholiques.

Il est difficile de quantifier le phénomène, car beaucoup se déclarent officiellement chrétiens.

En Amérique du Sud, où le catholicisme reste ultramajoritaire tout en subissant la concurrence des évangélistes, les umbandistas seraient un demi-million à se déclarer exclusivement comme tel, sur une population de 400 millions d'habitants, selon des statistiques officielles.

Le culte de Yemanja attire en tous les cas des dizaines de milliers de curieux sur les plages, séduits par une cérémonie devenue un rendez-vous populaire.

Dernière nouveauté: les descendants d'Africains se réapproprient ce culte, selon les sociologues. C'est le cas de Susasa Andrade, une Uruguayenne devenue prêtresse après avoir été initiée par son mari, d'origine allemande. «Je suis blanc du dehors, mais je suis noir à l'intérieur», avoue Julio Kronberg.