L'Argentine vient peut-être de légaliser le mariage gai, mais le pays reste farouchement contre l'avortement, au point où une fillette tombée enceinte après un viol ne peut interrompre sa grossesse sans l'intervention de la justice. Le débat a été relancé récemment dans ce pays où 500 000 avortements clandestins sont pratiqués chaque année, explique notre collaborateur.

Elle n'a que 11 ans et vit dans un quartier pauvre de Córdoba, dans le centre argentin. Alertée par son comportement bizarre, sa mère a découvert qu'elle était tombée enceinte après avoir été violée par un voisin. Mais lorsque la famille de la fillette a demandé un avortement, un fonctionnaire a répondu qu'il était impossible d'avorter sans l'intervention de la justice.

Si la fillette a finalement fait une fausse couche, cette situation sordide a relancé le débat sur l'avortement en Argentine. La semaine dernière, Alvaro Herrero et Natalia Gherardi, responsables d'associations de défense des droits civils, ont regretté en choeur dans le quotidien Clarin qu'«il n'existe aucune politique claire sur l'avortement en Argentine».

Une cinquantaine de députés (sur un total de 257) ont présenté en mars dernier un projet de loi qui dépénaliserait l'avortement. Le texte a pourtant peu de chances d'être débattu. Face aux inquiétudes de l'Église, le ministre de la Santé, Juan Manzur, a en effet assuré récemment: «Nous l'avons déjà dit avec la présidente, nous sommes contre l'avortement.»

Jusqu'à quatre ans de prison

La population argentine, catholique à 90%, reste globalement contre la dépénalisation de l'avortement, sauf en cas de viol. Aujourd'hui, l'avortement n'est pas un délit dans les seuls cas de «viol commis sur une femme démente» ou s'il a été pratiqué «afin d'éviter un danger pour la vie ou la santé de la mère».

Hormis ces deux exceptions, le médecin qui pratique un avortement et la femme enceinte risquent une peine de un à quatre ans de prison, voire six ans pour le médecin si la femme en meurt. Cela explique la tendance des médecins à refuser de pratiquer tout avortement.

«En tant que médecins, nous dépendons du bon vouloir des juges, ce qui nous attriste beaucoup», témoigne Silvia Carbognani, directrice de la principale maternité de la ville de Rosario.

En raison de cette situation, environ 500 000 femmes argentines ont recours chaque année à des avortements clandestins, pour un coût de 270 à 2700$.

Pratiques risquées

Si les plus riches avortent généralement dans des conditions sanitaires acceptables, ce n'est pas le cas des plus pauvres, sans information ni contacts, déplore Mabel Bianco.

Voilà 40 ans que cette militante, directrice de la Fondation pour l'étude et la recherche sur la femme (FEIM), bataille pour les droits des femmes en Argentine et partout dans le monde. Ex-conseillère du ministère de la Santé dans le gouvernement démocratique élu en 1984, Mabel Bianco a mis un terme à l'interdiction de la planification familiale en Argentine.

«L'avortement est un grave problème de santé publique, dit-elle. Cela fait 30 ans que les complications dues à des avortements mal réalisés constituent la première cause de mortalité maternelle en Argentine.» Chaque année, plus de 100 Argentines meurent après un avortement, tandis que 70 000 vont à l'hôpital à la suite de complications dues aux pratiques clandestines.

Vu de l'étranger, le conservatisme argentin peut paraître d'autant plus surprenant que le pays vient de libéraliser le mariage homosexuel, une première en Amérique latine.

«L'opposition de l'Église est forte et peu de politiques se risquent à s'immiscer dans le débat, par peur d'effrayer les électeurs, souligne Mabel Bianco. Cela explique qu'il a été plus facile de légaliser le mariage homosexuel que de dépénaliser l'avortement.»