Caprice du président Hugo Chavez ou expertise justifiée pour éclairer les circonstances de la mort du héros national, l'exhumation des restes de Simon Bolivar divise le Venezuela.

Le chef de l'État socialiste a surpris le pays vendredi dernier en annonçant cette opération. Depuis près de 170 ans, personne n'avait ouvert le cercueil du fameux général, à l'origine du soulèvement anticolonial qui donnera naissance au Venezuela, à la Colombie, l'Équateur, le Pérou et la Bolivie au début du XIXe siècle, une fois ces ex-colonies espagnoles libérées.

«Cela fait des années que je pensais à ça. Quand j'étais cadet (militaire) et que je montais la garde à côté du cercueil, je me demandais: «mon Dieu, qu'y-a-il à l'intérieur? Est-ce Bolivar?» J'avais des doutes,» a justifié Chavez.

«Il n'y a aucun doute que ces os conservés au Panthéon (national depuis 1876) sont ceux de Bolivar», a rétorqué Blas Bruni Celli, médecin vénézuélien spécialiste de la mort du «Libertador» (Libérateur).

Pour lui, les autorités de l'époque ont fait preuve de la plus grande rigueur lors des transferts de la dépouille de Bolivar de la ville colombienne de Santa Marta, où il a été enterré en 1830, à Caracas en 1842, puis de la cathédrale de la capitale vénézuélienne au Panthéon en 1876.

Le médecin refuse aussi les interrogations de Chavez sur la cause de sa mort. Officiellement, le général né en 1783 est décédé d'une tuberculose en 1830. Mais le président vénézuélien pense qu'il aurait pu être empoisonné par ses ennemis et compte sur cette exhumation pour trancher.

«C'est absolument avéré que Bolivar est mort de la tuberculose», a déclaré à l'AFP Bruni Celli. L'expertise réalisée en 1830 par son médecin, Alejandro Prospero Reverend, «ne laisse aucun doute» à ce sujet.

«L'exhumation est totalement inutile», estime-t-il par conséquent.

Mais pour le vice-président Elias Jaua, ces examens sont «nécessaires» pour «répondre à des questions qui n'ont pas été inventées par notre gouvernement».

Une équipe d'experts vénézuéliens et étrangers a examiné pendant des heures les restes du squelette du général et effectué divers prélèvements, dont les résultats sont encore inconnus.

Les images de l'opération ont été diffusées à la télévision, suscitant une polémique dans ce pays qui voue une grande admiration à Bolivar.

La psychologue Mercedes Pulido dénonce une «désacralisation du Libérateur», car la population gardera désormais en mémoire l'image de ses «ossements» et non plus «des peintures et des statues» à sa gloire.

«Il s'agit d'un pas en avant très dangereux effectué par Chavez dans la réécriture de l'histoire du Venezuela et de l'Amérique latine. Il montre au peuple qu'il est le propriétaire des pièces fondamentales de la mémoire: ce qu'il reste de Simon Bolivar», déplore aussi le directeur de l'Académie nationale d'histoire, Elias Pino.

«Un acte de cette nature doit avoir une justification, mais dans ce cas il s'agit seulement d'un caprice du chef de l'État,» ajoute-t-il.

Le gouverneur d'opposition de l'État de Zulia (ouest), Pablo Perez, estime que cette exhumation sert aussi à détourner l'attention des problèmes du pays (insécurité, pénuries, chômage) à deux mois d'élections législatives.

L'opération sera quoi qu'il en soit terminée samedi. À l'occasion du 227e anniversaire de la naissance de Bolivar, son tombeau sera à nouveau scellé.

Et l'an prochain, le gouvernement envisage de lui bâtir un nouveau mausolée orné d'«or et de diamants».