Une atmosphère de soupçon gagne au Pérou la classe politique, sous pression après l'annonce d'un examen prochain des éventuelles «liaisons dangereuses» entre politiciens et narcotrafic, dont le poids ne cesse de croître dans l'économie.

Le Congrès péruvien va examiner la semaine prochaine à l'initiative de l'APRA, le parti présidentiel, une motion qui a toutes les chances d'être approuvée pour créer une commission d'enquête sur les liens et risques d'interférences entre narcotrafic et monde politique. Parallèlement, le Monsieur antidrogue du Pérou, le chef respecté de l'organe étatique de lutte contre la drogue (Devida) Romulo Pizarro, a invité cette semaine la classe politique à signer «un pacte éthique assurant que les partis demeurent à l'abri du pouvoir de corruption» du trafic de drogues.

Selon M. Pizarro, la démarche a été approuvée par les chefs de partis et aboutira d'ici un mois à la publication d'un document écrit avec eux, et signé par eux, contenant des engagements précis «et non un catalogue de bonnes intentions».

«Le narcotrafic veut envahir tous les niveaux et circuits de pouvoir», met en garde M. Pizarro, conforté par la publication de plus en plus d'études et d'avis d'experts sur le poids croissant de la drogue dans l'économie, mais aussi par des épisodes embarrassants pour la classe politique.

Une députée d'opposition du Parti nationaliste (PN, gauche nationaliste), est dans l'oeil du cyclone depuis une semaine après l'arrestation à Lima de son ex-assistant parlementaire, en possession de 144 kg de cocaïne. Selon l'enquête, il s'apprêtait à acheminer la drogue vers le Mexique.

Nancy Obregon, ex-dirigeante d'une fédération de cultivateurs de feuilles de coca, qui servent à fabriquer la cocaïne, se défend. Elle voit dans l'attitude de l'APRÀ (centre-droit) qui l'accuse d'être «notoirement liée au narcotrafic» une campagne contre elle et son parti, dont le chef, Ollanta Humala est le principal rival du président Alan Garcia.

Mme Obregon n'est pas aidée par la diffusion à la télévision cette semaine d'une vidéo où elle semble obstruer une opération de la police antidrogue qui s'est déroulée en avril dans le nord-est du pays.

Mais la députée affirme au contraire qu'elle «a sauvé des vies» ce jour-là, en assumant le rôle de médiatrice entre des paysans ulcérés et les policiers maladroits.

Les médias se sont également inquiétés de l'entrée d'une ex-candidate à la présidentielle de l'Union nationale (droite), Lourdes Flores, au directoire d'une entreprise dont le principal actionnaire est César Catano, qui fait l'objet d'une enquête pour blanchiment d'argent lié au trafic de drogue.

Le Pérou est le deuxième producteur de cocaïne au monde, selon l'ONU qui estime que les surfaces cultivées de coca ont augmenté de 4,5% en 2008 et la production de cocaïne de 4,1%, à 302 tonnes.

Par ailleurs, selon une étude récente d'un cabinet privé mandaté par le Devida, le blanchiment d'argent lié au trafic de drogue injecterait entre 3 et 6 milliards de dollars par an dans l'économie réelle du Pérou.

L'affaire Obregon a accentué le sentiment de désaffection des Péruviens envers leur classe politique. Selon un récent sondage dans la capitale, 93% des Liméniens considèrent la corruption comme un problème «plutôt grave» ou «très grave» et 78% que l'entrée en politique est synonyme de corruption.

Le quotidien El Comercio a calculé qu'au cours des 3 ans de l'actuelle législature, 23 cas de conduite inappropriée d'un député avaient été dénoncés, et neuf parlementaires suspendus.

En 2008, le rapport annuel de l'ONG Transparency international plaçait le Pérou à la 72e place (sur 180 pays) du classement international du degré de perception de corruption.