(Nairobi) L’obtention de l’indépendance en 1963 n’a pas mis fin à la présence britannique au Kenya, qui continue à alimenter les griefs de la population.

Kevin Kubai, un avocat de Nairobi, espérait profiter du passage du roi Charles III pour demander publiquement des comptes au sujet de plusieurs dossiers faisant leur chemin devant les tribunaux, mais ses efforts ont tourné court.

Une conférence de presse convoquée dans un hôtel de la capitale pour marquer l’arrivée du monarque a été bloquée par la police sans autre explication.

« C’était une grossière violation de notre droit à la liberté d’expression », relève MKubai.

« Essayez de deviner qui a donné ces ordres. Il s’agit clairement de quelqu’un qui se pense au-dessus de la Constitution », ajoute l’avocat de 26 ans, qui reproche au président kényan, William Ruto, et à son entourage d’avoir voulu minimiser les sources potentielles d’irritation avec le visiteur royal.

PHOTO FOURNIE PAR VIVIANNE WANDERA

Me Kevin Kubai

L’attitude du gouvernement kényan va de pair, dit-il, avec celle des autorités britanniques, qui n’hésitent pas à revendiquer une forme d’« immunité judiciaire » lorsque certains de leurs représentants dans le pays sont mis en cause pour leur comportement.

Londres a notamment suscité l’indignation récemment en refusant de reconnaître la juridiction des tribunaux du pays dans une sordide affaire de meurtre mettant en cause des soldats anglais.

Le corps d’une jeune femme de 21 ans, Agnes Wanjiru, qui se prostituait pour joindre les deux bouts, a été retrouvé en 2012 dans une fosse septique à proximité de la ville de Nanyuki, où la Grande-Bretagne dispose d’une base d’entraînement.

Selon plusieurs médias, la hiérarchie militaire a été avisée qu’un soldat s’était reconnu coupable de sa mort devant des collègues, mais aucune enquête n’a abouti.

Ce n’est qu’après le dévoilement par un quotidien anglais de témoignages compromettants en 2021 qu’une nouvelle enquête a été lancée par la police kényane.

PHOTO MONICAH MWANGI, ARCHIVES REUTERS

Des membres de la famille d’Agnes Wanjiru, qui a été retrouvée morte en 2012, pleurent après une audience tenue à Nairobi en novembre.

Lors d’une audience préliminaire en novembre, le tribunal a décidé de renvoyer les procédures au mois de mai, suscitant l’indignation de la famille de la victime.

Onze ans après les faits, il n’y a toujours pas de justice pour Agnes Wanjiru.

MKevin Kubai, avocat rattaché à l’African Center for Corrective and Protective Action (ACCPA)

L’organisation soutient également des milliers de Kényans vivant près de la base militaire qui affirment avoir été directement touchés par un incendie ayant dévasté 10 000 acres de terrain en février 2021. Plusieurs affirment avoir développé des problèmes de santé après avoir été exposés pendant plusieurs jours à de la fumée.

La Grande-Bretagne a aussi tenté dans ce dossier de plaider l’immunité pour se soustraire aux poursuites judiciaires avant d’être rabrouée par un tribunal.

L’évaluation des dommages a été renvoyée à un comité de liaison comprenant des représentants des deux pays qui exige des documents difficiles à obtenir pour les plaignants en raison de leur pauvreté, selon MKubai.

C’est une stratégie de base des colonisateurs d’utiliser un comité bidon pour échapper à leurs responsabilités alors que les faits sont clairs.

MKevin Kubai

Ces dossiers s’ajoutent aux plaies béantes laissées par la répression du soulèvement des Mau Mau dans les années 1950, note MKubai, qui dénonce les « massacres » perpétrés par les troupes coloniales.

Le gouvernement kényan se garde bien de hausser le ton face au gouvernement britannique sur ces sujets sensibles, relève l’avocat, parce qu’il est soucieux de maintenir de bonnes relations économiques et politiques avec le pays.

Le président Ruto était d’ailleurs ravi, dit-il, d’avoir une occasion de se faire valoir sur le plan international en profitant de l’attention médiatique accordée à la visite royale.

« On ne peut pas faire semblant que l’histoire n’existe pas. Elle est enracinée dans le Kenya », souligne MKubai, qui entend continuer à utiliser les tribunaux pour forcer la Grande-Bretagne à reconnaître ses torts.

« Certaines personnes voudraient que l’on oublie le passé. Mais comment pourrait-on faire ça ? », demande-t-il.