(Washington) Les États-Unis, qui misent sur le Niger dans la lutte antidjihadiste au Sahel, ont condamné avec force le renversement du président Mohamed Bazoum mais se sont gardés jusqu’à présent de parler de « coup d’État », se conservant une petite marge de manœuvre.

CE QU’IL FAUT SAVOIR

  • Les États-Unis n’ont pris aucune décision pour le moment d’évacuer leurs ressortissants du Niger à l’instar de la France, près le putsch qui a renversé le président Mohamed Bazoum ;
  • La France se prépare à évacuer dans la journée ses ressortissants et des Européens du Niger ;
  • L’évacuation des militaires français postés au Niger « n’est pas à l’ordre du jour », a indiqué mardi l’État major des armées ;
  • Le Burkina Faso et le Mali, voisins du Niger, également dirigés par des militaires, ont mis en garde contre toute intervention armée ;
  • L’Italie a annoncé se tenir prête à évacuer par avion ses ressortissants souhaitant quitter le Niger ;
  • La Commission européenne a estimé qu’il n’y avait « pas de risque » pour l’approvisionnement en uranium de l’UE suite au coup d’État militaire.

Alors que la France apparaît en première ligne, ordonnant la suspension de son aide directe et l’évacuation de ses ressortissants, ainsi que d’autres Européens, les États-Unis ont, à ce stade, décidé ni l’un ni l’autre.

Et, surtout, Washington considère qu’il y a encore une « petite fenêtre » pour la diplomatie et le rétablissement du président Bazoum dans ses fonctions, saluant au passage le message de fermeté envoyé aux militaires putschistes par les pays de l’Afrique de l’Ouest.

« Nous n’avons aucune indication de menaces directes visant des citoyens américains ou nos installations » au Niger, a déclaré mardi le porte-parole du Conseil national de sécurité, John Kirby.

« Nous n’avons donc pas changé notre posture concernant notre présence au Niger pour le moment », ni décidé d’une suspension de l’aide américaine, a-t-il affirmé.

« Si on doit ajuster, on ajustera. Mais on n’y est pas encore », a ajouté le responsable en soulignant que les États-Unis « surveill(aient) la situation presque d’heure en heure ».

Le Pentagone a toutefois annoncé mardi avoir suspendu la « coopération sécuritaire » avec l’armée nigérienne, essentiellement des activités d’entraînement et de formation.

La France, ancienne puissance coloniale au Niger, a indiqué avoir commencé à évacuer ses ressortissants et des Européens du pays, un premier avion ayant décollé de Niamey mardi soir à destination de Paris.

1000 soldats

Interrogé pour savoir pourquoi les États-Unis n’ont pas encore formellement parlé de « coup d’État », le porte-parole du département d’État, Matthew Miller, a réitéré mardi qu’il « n’est pas encore clair que cette tentative (de prise de pouvoir) réussira au final ».

D’après la loi américaine, une telle qualification obligerait les États-Unis à cesser toute coopération économique ou militaire, avec des exceptions liées à la lutte antiterroriste.

Au-delà de la labellisation juridique et sémantique, il s’agit pour les États-Unis de conserver ainsi une certaine marge de manœuvre si le coup finit par échouer, conviennent des diplomates.

Les États-Unis fournissent plusieurs centaines de millions de dollars en aide notamment humanitaire au Niger et y disposent de quelque 1000 soldats déployés dans le pays dans le cadre de la lutte contre les groupes djihadistes au Sahel.

Situation évolutive

Washington a apporté son plein soutien à la fermeté affichée par les pays de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) qui ont fixé dimanche un ultimatum d’une semaine à la junte militaire au Niger pour un « retour complet à l’ordre constitutionnel ».

Le secrétaire d’État américain Antony Blinken, qui s’était rendu à Niamey en mars – la première visite d’un chef de la diplomatie américaine dans ce pays –, a multiplié les échanges avec des pays partenaires dans la région, ainsi qu’avec la France et le président Bazoum lui-même.

Dans une interview accordée à l’AFP en mars, il avait mis en avant le soutien de Washington à Niamey par le biais d’un programme de réinsertion de djihadistes repentis, d’un projet d’amélioration de l’irrigation et d’une agriculture résiliente au changement climatique dans ce pays aride et pauvre.

L’administration Biden souhaite s’engager davantage en Afrique pour y contrer les influences croissantes, en particulier de la Russie.

Le coup de force au Niger vient contrarier ces efforts.

M. Blinken a clairement indiqué que la poursuite de l’aide américaine au Niger dépendrait de l’évolution de la situation sur le terrain et d’un retour à l’ordre démocratique, et Washington pourrait suspendre son aide en temps voulu sans fixer cependant de calendrier.

« Bien entendu, si nous tirons la conclusion qu’un coup a eu lieu, nous respecterons la loi américaine », a affirmé lundi un haut responsable du département d’État sous couvert d’anonymat.

« C’est une tentative de prise de pouvoir. Nous ne pensons pas qu’elle soit pleinement réussie et nous pensons qu’il y a une petite chance d’inverser » le cours des choses, a ajouté le responsable.

Il a souligné que le nouvel homme fort du pays, le général Abdourahamane Tiani, ne semblait pas être parvenu à un « consensus » total au sein de l’armée autour de sa personne.

Pour Washington, le général Tiani a agi par intérêt personnel, de peur d’être démis de ses fonctions.

« On n’a pas le sentiment qu’il soit très populaire », a-t-il ajouté, en écartant par ailleurs une implication directe du groupe russe de mercenaires Wagner même s’il pourrait chercher à « tirer avantage » de la situation.