En Ouganda, le Parlement a adopté, au début de l'année une loi contre la «promotion» de l'homosexualité. Parallèlement, au Nigeria, le président a promulgué une loi du même type. Et il y a quelques semaines, un tribunal du nord de ce pays a condamné à 15 coups de fouet quatre hommes reconnus coupables d'homosexualité. Partout en Afrique, la haine des homosexuels croît. Même dans les pays les plus tolérants. La Presse raconte cette montée en Côte d'Ivoire.

Un samedi soir normal au Playboy, un bar où se rassemblent quelques homosexuels d'Abidjan, le centre économique de la Côte d'Ivoire. Ici, des hommes dansent dans un local humide et sombre.

Enfin, soirée normale jusqu'à ce qu'une bande armée de machettes vienne semer la terreur. Rapidement, les policiers interviennent, arrêtent trois agresseurs et évacuent les clients. Peu de temps après, les pillards reviennent et saccagent tout. Dehors, des voisins crient «Adieu, les pédés!».

C'était il y a un mois. Aujourd'hui, le Playboy est fermé. «On n'a rien compris. On était sous le choc. C'est un lieu où l'on était bien», explique Mario Kouassi, un habitué.

Le bar, dans un quartier populaire d'Abidjan, est la dernière cible d'attaques homophobes. La semaine précédente, c'était un salon de coiffure tenu par deux hommes. Un mois avant, c'était les locaux de l'organisation non gouvernementale Alternative, défendant les droits de la communauté LGBT (lesbienne, gai, bisexuel et transgenre), et l'appartement de son président, Claver Touré.

Celui-ci n'est pas homme à se laisser abattre. «On a cru que la situation allait se calmer aussitôt. Ça fait quatre ans qu'on est là et on n'a jamais eu de problèmes.» Réfugié dans les locaux d'un autre organisme, celui que la presse ivoirienne a baptisé le «président des pédés» a réuni ses troupes pour continuer le travail.

Alternative offre un programme de lutte contre le VIH/sida, des formations sur les droits de la personne et, surtout, une oreille attentive pour une communauté invisible. Désormais itinérante, l'association compte environ 625 membres.

Claver Touré arrive à ne pas perdre le sourire, même lorsqu'il montre les photos des dégâts et des graffitis obscènes. «Ils ont tout pillé. Sauf les préservatifs. Mais on se relèvera.»

Un tournant

Abidjan n'a pas toujours été aussi hostile aux «branchés», comme la communauté s'est elle-même baptisée.

Avant la crise postélectorale de 2010-2011 qui fit près de 3000 morts, la rue Princesse et la rue Prince, deux artères adjacentes du quartier de Yopougon, étaient le poumon des nuits abidjanaises. C'était le fief des proches du régime de Laurent Gbagbo (2000-2011), qui venaient y flamber leur argent. Ici, clubs gais et prostituées travesties jouxtaient les lieux fréquentés par tous. Mais le nouveau gouvernement a détruit ce fief de l'opposition au bulldozer.

Depuis, la vie gaie s'est éparpillée dans des bars discrets aux quatre coins de la ville. Et les travestis se sont repliés sur la «rue des serpents», mythique pour ses prostituées qui sifflent les clients. Il y a deux ans, elles étaient bien en vue. Maintenant, elles se font plus discrètes devant le harcèlement et les agressions des policiers et des riverains.

Haine et religion

La Côte d'Ivoire est plus ou moins divisée entre deux religions: le christianisme au sud et l'islam au nord. Mais si un point les rallie, c'est bien la haine des homosexuels.

À la sortie d'une église évangélique du centre-ville d'Abidjan où les pasteurs défilent mais livrent le même discours contre la «perversion homosexuelle», Maurice Konan, un habitué, reste prudent. «L'homosexualité, c'est contre nos valeurs chrétiennes. En revanche, tuer les homos, c'est aussi contre nos valeurs. Ici, on rejette l'homosexualité. Pas les homosexuels. On ne fera pas comme au Nigeria, où l'on tue.»

Mais tous ne sont pas aussi modérés. Sur les ondes de la radio Al-Bayane, les prêcheurs islamiques livrent leurs discours agressifs, parfois très violents. «Les musulmans sont plus radicaux. On ne retrouve pas ici le discours des évangélistes américains chez les chrétiens, comme en Ouganda. Enfin, pas encore», explique Claver Touré de l'organisation Alternative.

Mais difficile de montrer du doigt la religion. Sur l'internet, la haine n'a pas de religion. Elle est virulente et les menaces de mort fréquentes. Sur les réseaux sociaux, les pages se multiplient avec des noms aussi clairs que «Non à l'homosexualité en Côte d'Ivoire» qui compte déjà plus de 11 000 fans.

En Côte d'Ivoire, le président Alassane Ouattara ne se prononce pas sur la question alors qu'il dirige un des rares pays africains à ne pas pénaliser l'homosexualité.

Mais d'autres présidents en ont fait un cheval de bataille. «Le Diable ne gagnera pas l'Afrique. Nous n'accepterons pas l'homosexualité imposée par l'Occident.» Ces mots sont du Zimbabwéen Robert Mugabe. Mais ils auraient pu aussi venir du président gambien Yahya Jammeh ou de son homologue ougandais Yoweri Museveni.

Poutine populaire

Derrière ce discours qui voit l'homosexualité comme une importation occidentale, il y a la quête identitaire d'un continent. «L'homosexualité fait partie de l'Afrique. Plusieurs ethnies ivoiriennes acceptent l'homosexualité depuis des siècles. Mais on dirait que les gens oublient leurs véritables origines. Et surtout que les lois criminalisant l'homosexualité ont été importées de France», souligne Claver Touré.

Mais peu voient le débat du même oeil. Lors des Jeux olympiques de Sotchi, Vladimir Poutine a acquis une notoriété en Afrique pour ne pas avoir plié sous les pressions des groupes occidentaux qui s'opposaient à la loi interdisant la «propagande» homosexuelle en Russie.

Jean Kouamé en est devenu un fervent partisan. «Il a prouvé que l'on peut tenir tête aux valeurs immorales de l'Europe», dit-il. À son avis, c'est surtout une question de résistance à l'arrogance de l'Occident. «D'ailleurs, là-bas, les homosexuels ont pris le pouvoir. Il faut lutter contre l'impérialisme», soutient ce fonctionnaire et militant de l'ex-président Laurent Gbagbo.

Si les idées de Jean Kouamé semblent radicales, elles soulignent que pour plusieurs, le soutien des gouvernements occidentaux peut être contre-productif. L'organisation Alternative a reçu un financement de 45 000 euros (environ 70 000$) de l'ambassade de France en juin 2013. Le lendemain, un journal ivoirien titrait «La France finance la propagande des pédés».

Ce n'est pas le premier amalgame. L'adoption en Côte d'Ivoire d'un nouveau Code de la famille en 2013, qui visait à donner plus de droits aux femmes, a complètement dérapé. Alors que le débat sur le «mariage pour tous» faisait rage en France, le président Alassane Ouattara a dû rassurer les Ivoiriens: le mariage homosexuel ne figurait pas parmi les changements proposés.

«C'est difficile de lutter contre l'homophobie alors que les médias français, qui sont très regardés en Côte d'Ivoire, laissent parler ouvertement les homophobes. La situation, c'est aussi le résultat de ce qui se passe en Occident. On ne vit pas en vase clos», commente Claver.

N'empêche, les autorités ne restent pas les bras croisés. Si les policiers locaux ont refusé de protéger Alternative lors des attaques, le gouvernement y a déployé son escouade tactique la plus redoutable pour mettre fin au saccage. «On a été reçu par la justice. Et la plainte suit son cours», explique Claver, qui croit que les actes sont surtout le fruit d'un petit groupe organisé plutôt que celui de la vindicte populaire.

Malgré la haine, il a la foi. «Sincèrement, les Ivoiriens ne sont pas homophobes. Chaque chose en son temps.» Comme pour lui donner raison, la femme d'affaires ivoirienne et personnalité locale Marie-Catherine Koissy a fait son coming out le jour de notre entrevue. Sur Radio Nostalgie, la radio privée la plus populaire de Côte d'Ivoire, la femme de 50 ans a avoué, à heure de grande d'écoute, aimer les femmes. «Il a fallu peut-être du temps pour l'assumer. Mais j'ai tout à fait assumé cette sexualité ambivalente.» Le lendemain, pas de violences, pas de menaces, pas de une. Juste une certaine indifférence.

Trois vies, trois réalités

Notre journaliste a rencontré trois Ivoiriens qui tentent tant bien que mal de vivre leur homosexualité et qui ont accepté de se confier en dévoilant uniquement leurs prénoms.

Monika, 33 ans, transgenre

«C'est ma copine Barbara, qui arrivait de Paris, qui m'a tout appris», explique Monika, grande et élégante dans un boubou vert cintré. Depuis qu'elle était un petit garçon, elle se savait femme. Il y a neuf ans, elle a décidé de le devenir en prenant des hormones. Difficiles à trouver, elles lui coûtent 80 000 CFA par mois (environ 190 $), soit l'équivalent du salaire minimum mensuel en Côte d'Ivoire.

Monika a eu le soutien de sa famille musulmane. «J'ai réuni ma famille. J'ai pris mon souffle. Je leur ai annoncé. Ils ont répondu : «Tu peux faire ce que tu as dit, mais ça doit être bien fait.» Ils étaient inquiets pour ma santé.»

Mais la vie n'a pas été facile. Sur sa poitrine, une cicatrice sort de son décolleté. «J'ai été poignardée à mon domicile.» Ses voisins sont intervenus pour maîtriser l'assaillant. À l'hôpital, on lui a d'abord refusé les soins. Monika s'inquiète des attaques et des invectives qui sont devenues son quotidien et celui de ses copines. Elle ne sort plus après 22h00.

Deschanelle, 22 ans, lesbienne

Timide, Deschanelle ne regarde pas dans les yeux. «Ma famille sait. Mais ils ne veulent pas en entendre parler.» Elle a fait son coming out il y a quatre mois.

Deschanelle a une carrure sportive, mais elle dit n'être ni une «troussou», une lesbienne féminine dans le jargon local, ni une «yossi», plus masculine. Au cou, elle porte une petite croix. «Je suis à l'aise entre ma religion et mon orientation. Dieu nous enseigne de ne pas faire le mal.» Elle va à la messe tous les dimanches.

Depuis deux ans, elle fréquente une fille rencontrée au lycée. « Je me suis dit, je vais l'approcher. Elle m'a demandé si j'étais lesbienne. J'ai répondu : «Si je te dis oui, je vais te choquer?» On est ensemble depuis.»

«Les gens acceptent mieux les lesbiennes : on est moins menaçantes, on dirait. Ce qui choque les gens, c'est le rapport sexuel basé sur la pénétration. Du coup, on se dit que les lesbiennes finiront bien par se marier et rentrer dans le rang.» Mais elle fait tout de même attention. «On se cache. Les gens ne savent pas qu'on existe.» L'internet reste selon elle le meilleur moyen de s'affirmer.

Cheick, 52 ans, homosexuel en fuite

Cheick a d'abord quitté le Mali, où l'homosexualité est légale, pour la Côte d'Ivoire, où nous l'avons rencontré. « Mais je ne pouvais pas y vivre. J'ai trop de famille, dont un oncle imam. J'avais toujours peur d'être découvert. » Du coup, il a choisi de déménager au Sénégal, où l'homosexualité est fortement criminalisée.

«Dakar, c'est une grande ville. On peut être invisible», raconte celui qui travaille comme cadre dans une entreprise de téléphone. «Mais je suis un étranger ici. Je suis invisible. Ce serait pire pour un Sénégalais.»

Cheick rit de ses premières aventures. «J'ai appris en faisant. Mon premier amant, je l'ai rencontré à la plage, près d'Abidjan. J'ai suivi une sorte de pulsion. Après, j'ai pris un peu de confiance. Avant l'internet, on fonctionnait à l'instinct. Ou avec des codes secrets.» Notamment en chatouillant le creux de la main de son interlocuteur lorsqu'on lui serrait la main. «Avant, on pensait qu'on était les seuls. Maintenant, on a l'application Grindr et l'internet pour se retrouver.»