(Stepanakert) Dans l’appartement de Janna Petrossyan, à Stepanakert, les températures affichent comme à l’extérieur moins de zéro. Comme elle, les habitants du Nargorny Karabakh doivent s’habituer aux coupures d’électricité et de gaz mises en place face à un blocus azerbaïdjanais qui dure.

« Quand les enfants vont au lit, on leur met des vêtements de laine et on les entoure dans des couvertures », explique cette grand-mère de 67 ans qui habite cette région disputée.

Cette enclave montagneuse, majoritairement peuplée d’Arméniens, mais reconnue par la communauté internationale comme territoire azerbaïdjanais, est quasiment coupée du monde par le blocage du seul axe la reliant à l’Arménie.  

Depuis la mi-décembre, des Azerbaïdjanais se présentant comme des défenseurs de l’environnement bloquent le couloir de Latchine, seule voie d’approvisionnement du Karabakh, et quelque 120 000 habitants de l’enclave subissent coupures de courant et de l’internet, mais aussi des problèmes de chauffage et d’accès à la nourriture ou aux médicaments.

« Quand il y a de l’électricité, on se précipite pour aller dans la cuisine et préparer des repas chauds pour mes deux petits-enfants », dit Mme Petrossyan.

Avec sa famille, elle vit ces derniers temps de soupe de vermicelles ou de riz, les fruits et les légumes ayant disparu des étals des magasins, qui doivent rationner les produits.

« Les Azerbaïdjanais exercent de la pression psychologique sur nous… Mais nos fils ont versé leur sang sur ces terres que nous n’abandonnerons jamais », affirme-t-elle.

Nouvelle crise

L’Arménie et l’Azerbaïdjan se sont affrontés au début des années 1990, lors de la dislocation de l’URSS, pour le contrôle du Nagorny Karabakh.

Ce premier conflit, qui a fait 30 000 morts, s’est soldé par une victoire arménienne. Mais l’Azerbaïdjan a pris sa revanche lors d’une deuxième guerre qui a coûté la vie à 6500 personnes à l’automne 2020 et a permis à Bakou de reprendre de nombreux territoires.

Des soldats russes de maintien de la paix sont, depuis, déployés conformément à un accord de cessez-le-feu signé grâce à la médiation de Moscou.

Depuis plusieurs semaines, l’Arménie déplore toutefois que la Russie – occupée par son offensive en Ukraine – n’ait pas empêché cette nouvelle crise.

Selon Erevan, le blocage du couloir de Latchine vise à organiser un « nettoyage ethnique » dans la région, tandis que Bakou juge ces accusations « infondées », affirmant que des voitures de civils peuvent toujours circuler entre le Karabakh et l’Arménie.

Comme des milliers de personnes, Karen Sargsyan, un ancien mécanicien de 56 ans, a perdu son emploi depuis le début du blocus.

« J’ai dû fermer mon atelier de réparation automobile » à cause de « la pénurie des pièces de rechange et de carburant, [en plus] des coupures d’électricité », dit-il.

Face aux nombreuses coupures de courant préventives organisées pour éviter une surcharge du réseau électrique, la plupart des hôpitaux, écoles et autres jardins d’enfants ont également fermé ces dernières semaines.

« C’est difficile »

Comme la plupart des habitants de Stepanakert, M. Sargsyan passe ainsi des heures à faire la queue à l’extérieur des petites échoppes. À l’intérieur, les rayons sont souvent vides, même si l’on trouve encore du sucre, du riz et de l’huile.

« Bien sûr que c’est difficile, mais on a déjà vu quelque chose de similaire, lors de la première guerre du Karabakh dans les années 1990 », dit Karen Sargsyan.

« On s’entraide. Si l’un des voisins a du bois pour faire un feu, on se retrouve chez lui le soir pour préparer du thé ou du café », ajoute-t-il.

Dans une maternité de la plus grande ville de la région, Inna Galoustyan déplore, elle, un manque de médicaments depuis une dizaine de jours.

« La plupart des interventions chirurgicales de base ont été reportées, car c’est trop risqué de les réaliser dans ces conditions si extrêmes », souligne cette médecin.

Depuis, la Croix-Rouge a pu acheminer de l’aide médicale, mais certains patients sont toujours en attente d’un traitement d’urgence.

« Si le patient est en état d’être transporté, alors on l’envoie en Arménie avec l’aide de la Croix-Rouge », dit Mme Galoustyan. « Mais plus de 600 personnes gravement malades n’ont toujours pas été opérées », regrette-t-elle.