Réponse aux migrants, aux trafiquants ou parfois à des groupes ennemis, les murs aux frontières reflètent le plus souvent « une vulnérabilité de la société » qui les érige, estime Élisabeth Vallet, directrice de l'observatoire de géopolitique à l'Université du Québec à Montréal (UQAM).

Pratiquement inexistants à la fin de la Seconde Guerre mondiale en 1945, le nombre de murs est passé à 11 jusqu'à la chute du mur de Berlin en 1989, « pour arriver aujourd'hui au nombre de 70 » avec « un premier coup d'accélérateur après les attaques du 11 septembre » aux États-Unis, puis un « deuxième coup d'accélérateur avec le Printemps arabe » dès 2011.

Un tiers d'entre eux ont été « construits pour mettre un terme à un conflit » (Chypre, les deux Corée, Inde et Pakistan), explique Élisabeth Vallet dans un entretien à l'AFP.

Plus récemment, « trois types de murs différents sont apparus, dont la majorité [sont] des murs antimigration, des murs antitrafics et des murs antiterroristes ».

La construction d'un mur ou d'une clôture donne au pouvoir politique « une réponse clé en main » face « à une perception de vulnérabilité comme aux États-Unis, en Bulgarie, en Grèce ou en Hongrie », où « la pression migratoire est en train, soit de changer la nature de l'identité d'une société, soit d'exercer une pression économique » en donnant la perception d'un risque sur l'emploi, selon Mme Vallet.

Le mur n'empêche jamais de passer

Dans une « démarche électoraliste », l'argument d'un mur apporte des réponses « à des questions identitaires » et permet à un démagogue, avec « un discours caricatural et populiste » de renforcer le « caractère étranger » du voisin.

« Les murs représentent une fracture importante entre les riches et les pauvres, une fracture nord-sud » même si parfois des pays du Sud veulent s'isoler de leurs voisins comme par exemple l'Arabie saoudite, poursuit Élisabeth Vallet en notant que « la religion est rarement un facteur » à l'origine d'une construction frontalière.

Mais finalement, ajoute-t-elle en s'appuyant sur les données de la police américaine des frontières, « le mur sert à dissuader et à ralentir, mais n'empêche jamais de passer ».

Car « le niveau de désespérance » des migrants est tel qu'une barrière ne les décourage pas de « prendre leur nouveau-né sous le bras et de monter à bord d'un bateau en pleine Méditerranée en sachant que le risque qu'ils meurent est élevé ».

« Il ne faut pas sous-estimer la perception d'insécurité qui va pousser une femme [...] à prendre le risque de migrer en sachant, non pas qu'elle peut être agressée, mais qu'elle va l'être », ajoute Mme Vallet.

Investir dans la paix

Les gouvernements seraient mieux inspirés de travailler à régler les facteurs à l'origine des flux migratoires plutôt que de dépenser plus d'argent dans la construction de murs qui, dit-elle, « contribuent à accentuer un phénomène inéluctable qui est celui des grandes migrations ».

« Il faut investir de l'argent dans des missions de paix, dans la sécurisation des zones. Des corridors humanitaires en Syrie auraient peut-être évité à la Hongrie de construire ces murs », estime cette universitaire.

Si l'argent que ces murs coûtent « était investi dans des missions de paix [...], ou par exemple pour gérer les changements climatiques qui génèrent de l'insécurité alimentaire et des migrations », alors « le cours de l'histoire » pourrait être modifié.

Il en a ainsi coûté entre un et huit millions de dollars américains pour chaque kilomètre de clôture érigée entre le Mexique et les États-Unis, rappelle la professeure de l'UQAM.

Mais là où le président Donald Trump veut compléter le mur avec le Mexique sur 2000 km, dans « des zones plus désertiques où les terres appartiennent à des privés qu'il va falloir exproprier, le coût peut monter à 21 millions par kilomètre ».

Si l'investissement dans des murs vise à terme à freiner les flux de migrants, la volonté affichée peut aussi « pousser des personnes qui n'avaient pas pris la décision de migrer » à le faire tant que la construction n'est pas achevée, conclut-elle.

Des murs toujours plus nombreux dans le monde

PARIS - À l'instar du mur anti-immigration voulu par Donald Trump à la frontière mexicaine, de multiples barrières s'élèvent dans le monde, en réponse à des inquiétudes sécuritaires ou pour endiguer les flux migratoires.

Quelque 70 murs existent de par le monde, contre seulement une dizaine il y a un quart de siècle, à la chute du mur de Berlin, selon la chercheuse Élisabeth Vallet.

États-Unis-Mexique : de la clôture au mur

Donald Trump a signé, cinq jours après son arrivée à la Maison-Blanche, un décret lançant la construction d'un mur anti-immigration de 1600 km à la frontière mexicaine. Un projet qu'il entend faire financer par son voisin du Sud, qui ne veut pas en entendre parler.

Une clôture barbelée existe déjà sur plus d'un tiers des 3000 km de frontière. Sa contruction, achevée en 2010, avait été décidée par le président George W. Bush. Surnommée « Tortilla curtain » (rideau de tortillas), cette barrière métallique de plus de cinq mètres de haut est équipée de projecteurs et de caméras. Quelque 18 500 agents patrouillent à la frontière.

Floraison en Europe

- FRANCE : Face aux tentatives répétées de migrants de rejoindre clandestinement le Royaume-Uni, les autorités françaises ont installé à Calais (nord) depuis l'été 2015 des clôtures grillagées protégeant, sur 30 km, le port et, sur 40 km, le tunnel sous la Manche.

Par ailleurs, depuis l'automne 2016, un mur de quatre mètres de hauteur et d'un kilomètre de long empêche, sur la rocade portuaire, les migrants de grimper sur les camions en route vers l'Angleterre. Il a été financé par la Grande-Bretagne à hauteur de 2,7 millions d'euros.

- HONGRIE : Le gouvernement conservateur de Vikor Orban a érigé en septembre 2015 une clôture barbelée de quatre mètres de haut sur les 175 km de sa frontière avec la Serbie, avant d'en construire une autre à la frontière croate.

Dans la foulée, plusieurs autres pays européens ont fait de même à leurs frontières : la Macédoine avec la Grèce, la Slovénie avec la Croatie et l'Autriche avec la Slovénie.

- BULGARIE : En 2014, une clôture barbelée a été installée par la Bulgarie à sa frontière avec la Turquie, principal point d'entrée terrestre des migrants. Cette barrière s'étend désormais sur 176 km.

- GRÈCE : En 2012, les Grecs ont édifié une double barrière barbelée d'une hauteur de 2,5 à 3 mètres, à la frontière avec la Turquie, sur quelque 11 km.

- MAROC-ESPAGNE : Sur la côte nord-marocaine, les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla, seules portes d'accès terrestre à l'Europe pour les candidats à l'immigration, sont entourées de barrières grillagées d'une longueur d'une dizaine de kilomètres chacune. À Melilla, les clôtures comptent par endroits des barbelés et lames tranchantes, en dépit des dénonciations d'ONG. Les images de migrants prenant d'assaut ces barrières ont fait le tour du monde.

Des murs et des conflits

- ISRAEL-CISJORDANIE : En juin 2002, à la suite d'une vague d'attentats palestiniens, les Israéliens ont commencé à installer une barrière, suivant plus ou moins le tracé de la « ligne verte » entre Israël et la Cisjordanie. Avec des murs de béton de parfois neuf mètres de haut, elle se trouve à 85 % en Cisjordanie et isole 9,4 % du territoire palestinien, dont Jérusalem-Est occupé et annexé. Achevée aux deux tiers, elle doit atteindre à terme environ 712 km, selon l'ONU.

D'autres séparations existent aux frontières avec la Jordanie, la Syrie, la Bande de Gaza et l'Égypte.

- ARABIE SAOUDITE - IRAK : Les Saoudiens, face à la menace du groupe État islamique, ont complété en 2014 un mur de sable existant par une barrière de protection et un système de surveillance électronique sur 900 km, dans le désert à la frontière irakienne.

- INDE - PAKISTAN : L'Inde a construit une clôture le long des 742 km de la Ligne de contrôle faisant office de frontière avec le Pakistan, au niveau de la région disputée du Cachemire, ainsi que sur les 230 km de frontière internationalement reconnue.

Par ailleurs, une clôture barbelée de 2700 km a été érigée par New Delhi le long de la frontière avec le Bangladesh, contre l'immigration clandestine et la contrebande.

- CORÉE DU NORD ET DU SUD : En dépit de son nom, la zone démilitarisée (DMZ) entre les deux Corées est l'une des frontières les plus militarisées au monde, truffée de miradors et de mines. Cette ligne de démarcation de 250 km le long du 38e parallèle matérialise la frontière, selon des termes fixés à la fin de la guerre de Corée (1950-1953).

- MAROC - SAHARA OCCIDENTAL : Un mur de sable fortifié de 2700 km est érigé, depuis les années 80, entre les territoires sous contrôle marocain (80 %) et les zones sous contrôle de la République arabe sahraouie démocratique, proclamée par le Front Polisario (20 %).

- IRLANDE DU NORD : À Belfast, les murs de séparation en béton, métal et grillages érigés à partir de 1969 divisent encore, 19 ans après la signature des accords de paix, les quartiers catholiques et protestants de la ville. Le gouvernement s'est engagé en 2013 à les détruire sous dix ans.

- CHYPRE : Divisée à la suite de l'invasion turque de 1974, l'île méditerranéenne est séparée par une ligne de cessez-le-feu longue de 180 km, ponctuée de murs de béton, de barbelés et d'obstacles divers.

Photo Robert ATANASOVSKI, archives AFP

Un mur a été érigé entre la Macédoine et la Grèce pour empêcher les migrants de traverser la frontière.