Washington a annoncé hier que les États-Unis abandonnent l'approche de George W. Bush quant au projet de bouclier antimissile en Europe, après avoir revu à la baisse la menace iranienne. L'équipement, qui devait servir à intercepter des missiles à longue portée lancés à partir de l'Iran vers les États-Unis, sera remplacé par un nouveau système d'interception basé sur des navires. La Russie, qui n'a jamais vu d'un très bon oeil l'arrivée de missiles américains près de ses frontières, a salué la décision. Les Républicains, pour leur part, ont accusé l'administration de Barack Obama de commettre «une grave erreur». La Presse se penche aujourd'hui sur l'origine de ce changement de cap majeur et sur l'impact de cette décision remarquée.

Q Quelles sont les raisons de Washington d'abandonner le projet?

R «En matière d'armement, le président George W. Bush avait une approche dogmatique, alors que Barack Obama privilégie une approche pragmatique», rappelle le professeur Pierre Martin, de l'Université de Montréal. Entre une technologie peu fiable pour contrer une menace imprécise, et la perspective de faire des gains politiques et diplomatiques en Europe, «Obama a dû se dire que le jeu en valait la chandelle». Car l'Europe et une bonne partie des membres de l'OTAN n'ont jamais approuvé ce projet.

 

Q Quelle est la menace iranienne?

R Les derniers renseignements colligés par les Américains montreraient que l'Iran planifie plutôt s'équiper de missiles à courte et moyenne portée plutôt que de missiles à longue portée (plus de 5000 km). En conférence de presse hier, le président Obama a indiqué qu'une défense efficace contre l'Iran exige que la riposte se fasse à partir d'autres lieux, comme à bord de navires. Mais il n'a pas exclu que la Pologne et la République tchèque, qui devaient respectivement recevoir 10 intercepteurs et un radar, ne soient un jour sollicitées pour recevoir de nouveaux équipements.

Q La technologie pour intercepter des missiles de longue portée est-elle au point?

R Pas du tout, et c'est l'une des raisons importantes de l'abandon du projet. «C'est comme arrêter une balle de fusil en tirant une autre balle», illustre Pierre Martin. C'est pourquoi la Maison-Blanche dit plutôt vouloir équiper ses navires d'intercepteurs de missiles de courte et moyenne portée SM-3 à l'efficacité démontrée. Le secrétaire américain à la Défense, Robert Gates, a indiqué que le nouveau projet permettra au pays de se protéger sept ans plus tôt que prévu. En outre, a ajouté la Maison-Blanche, ce changement permettra d'apporter une meilleure défense à Israël, qui craint que des armes nucléaires iraniennes ne soient bientôt braquées sur elle.

Q Comment la nouvelle est-elle accueillie en Europe de l'Est?

R Avec consternation. La Pologne célébrait justement hier le 70e anniversaire de l'invasion soviétique. Le chef du bureau pour la sécurité nationale de la présidence polonaise, Aleksander Szczyglo, a parlé d'un «échec de la réflexion à long terme de l'administration américaine dans cette partie de l'Europe». L'ex-premier ministre tchèque Mirek Topolanek estime que «ce n'est pas une bonne nouvelle pour l'État tchèque, pour la liberté et l'indépendance de la République tchèque». «En Europe de l'Est, dit le professeur Vincent Pouliot de l'Université McGill, il y a toujours de la nervosité face aux Russes. La Guerre froide est terminée depuis 20 ans, mais dans les pays qui ont vécu des expériences difficiles avec les Russes, on aurait probablement préféré une ligne plus dure.»

Q S'agit-il d'un signe de réchauffement des relations Russie-États-Unis?

R L'abandon du bouclier survient une semaine avant la rencontre Obama-Medvedev qui doit avoir lieu à New York, en marge de l'Assemblée générale de l'ONU. Le président russe a déclaré hier que lui et son homologue américain «allaient travailler ensemble sur des mesures efficaces pour faire face aux risques de la prolifération des missiles». Il a salué «l'approche responsable» du président Obama qui a écouté les arguments des Russes. «Je suis prêt à poursuivre ce dialogue.»