La procédure d'interdiction du parti islamo-conservateur au pouvoir en Turquie est entrée dans une phase critique mardi avec le plaidoyer, devant les juges de la Cour constitutionnelle, du premier procureur du pays, à l'origine du procès.

Le procureur de la Cour de cassation Abdurrahman Yalçinkaya a soutenu pendant environ une heure et demie le bien-fondé de la procédure lancée contre le Parti de la justice et du développement (AKP, issu de la mouvance islamiste) lors d'une audience qui s'est déroulée à huis clos.

M. Yalçinkaya n'a fait aucune déclaration aux nombreux journalistes à son arrivée ni à son départ de la Cour qu'il a quittée par une porte située sur l'arrière.

Le procureur a déposé en mars un recours demandant l'interdiction pour activités «allant à l'encontre de la laïcité» de l'AKP, qui a rejeté ces accusations.

Le procureur demande aussi que 71 membres de l'AKP, dont le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan et le président Abdullah Gül, soient interdits d'appartenance à un parti politique pendant cinq ans.

«La République laïque est aujourd'hui plus que jamais menacée (...) L'AKP se servira jusqu'au bout du +takiyye+ (la pratique de dissimuler ses véritables convictions), jusqu'à ce que les objectifs d'un Etat inspiré du modèle islamique soient atteints», avait affirmé le procureur dans son réquisitoire écrit.

Jeudi, les représentants de l'AKP comparaîtront à leur tour devant les onze membres du tribunal, là encore à huis clos, pour présenter la défense de leur parti.

Après les auditions, le rapporteur du tribunal rédigera ses recommandations, puis un calendrier sera fixé pour les délibérations avant l'annonce du verdict, qui, selon l'AKP, ne devrait pas intervenir avant le mois d'août.

Une interdiction de l'AKP, hypothèse jugée la plus probable par la plupart des analystes, pourrait plonger la Turquie dans une crise politique et provoquer des élections législatives anticipées d'ici la fin de l'année.

L'AKP est au pouvoir depuis 2002 et a remporté les élections législatives tenues il y a moins d'un an.

Selon un sondage publié lundi, 43,3% des électeurs voteraient pour le parti au pouvoir si un scrutin était organisé aujourd'hui.

Les juges pourraient aussi préférer condamner le parti et ses dirigeants à une forte amende.

Si l'AKP est dissous, ses députés devraient former un nouveau parti. Ceux qui n'auraient pas la possibilité d'intégrer cette nouvelle formation, à l'instar de M. Erdogan, pourraient néanmoins se présenter en candidats indépendants à un scrutin anticipé.

Dans le passé, plusieurs partis pro-islamistes ont été fermés en Turquie. L'AKP est sur les cendres de ceux-ci mais se définit comme un parti «démocrate-conservateur» respectueux de la laïcité.

La procédure contre l'AKP a été lancée après la décision du gouvernement de lever l'interdiction du port du foulard islamique dans les universités.

La Cour constitutionnelle a annulé cette révision en juin, estimant qu'elle était contraire aux fondements laïques de la République turque. L'armée, l'administration judiciaire et les recteurs d'université se posent en garants de ce principe fondateur dans un pays majoritairement musulman.

L'incertitude politique causée par cette procédure entretient aussi le doute dans les milieux économiques.

L'Union européenne à laquelle la Turquie souhaite adhérer a critiqué l'action en justice contre l'AKP.

Par ailleurs, peu avant le début du plaidoyer devant la Cour constitutionnelle, plusieurs personnalités laïques farouchement opposées à l'AKP, dont deux ex-généraux quatre étoiles et un journaliste connu, ont été arrêtés dans le cadre d'une enquête contre un réseau criminel qui, selon les médias, souhaiterait renverser le gouvernement.