Le feu vert du président américain Donald Trump à la construction de l'oléoduc Keystone XL est une pierre dans le jardin de la politique intérieure du premier ministre Justin Trudeau, même si elle va stimuler l'économie.

« Cette décision fait du tort au gouvernement Trudeau, qui aurait été satisfait de voir le projet Keystone XL tomber en désuétude du côté américain et ne pas avoir à assumer les conséquences politiques de son approbation », estime Matthew Hoffmann, professeur de science politique à l'Université de Toronto.

Depuis son élection en 2015, Justin Trudeau martèle que l'économie et la protection de l'environnement peuvent aller de pair.

Avec une croissance économique tirée par l'énergie (10 % du produit intérieur brut), le Canada est au sixième rang des pays producteurs de pétrole. Ce qui n'a pas empêché Justin Trudeau d'affirmer en janvier vouloir « mettre un terme progressivement » à l'exploitation des sables bitumineux et faire cesser la « dépendance » du Canada aux hydrocarbures.

Sa déclaration lui a valu les foudres de l'industrie pétrolière qui, deux mois plus tôt, l'avait encensé après sa décision de construire deux nouveaux oléoducs.

L'approbation du projet d'oléoduc controversé Keystone XL, reliant la province de l'Alberta et les États-Unis, qui avait été suspendue par l'administration Obama, est donc un revers de plus à la promotion de l'économie verte par le gouvernement libéral, mais permet de calmer les critiques provenant du secteur des hydrocarbures.

« Il est clair que M. Trudeau promeut deux politiques contradictoires. Il fait de grands discours sur les changements climatiques, la réduction des gaz à effet de serre et les énergies renouvelables, tout en approuvant deux oléoducs malgré une forte opposition », analyse Jean-Thomas Bernard, professeur d'économie à l'Université d'Ottawa.

Après avoir prêché les vertus de l'environnement à la conférence sur le climat de Paris fin 2015, Justin Trudeau a réussi, dans la douleur, à imposer une taxe sur les émissions de gaz à effet de serre.

Avec le Keystone XL, il trouve grâce auprès des pétroliers et espère limiter les dommages politiques puisque la décision en revient à Donald Trump.

« La position que M. Trudeau essaie de tenir est de rester ouvert à une exploitation des sables bitumineux, tout en faisant la promotion d'un plan de lutte contre les changements climatiques ambitieux », confie à l'AFP Pierre-Olivier Pineau, spécialiste en énergie à HEC Montréal.

« Aucun plan »

Au grand dam des écologistes, le premier ministre s'est dit « très heureux » de la construction de cet oléoduc géant, car « l'acheminement de nos productions jusqu'aux marchés est essentiel pour la croissance économique canadienne ».

« M. Trudeau voudrait que le secteur pétrolier tourne à nouveau à plein régime. Il fait face à un énorme déficit budgétaire et n'a aucun plan pour le réduire [...] Pour cela, il lui faut une forte activité économique », mentionne Jean-Thomas Bernard.

Le chef du gouvernement libéral entretient une image de leader de la lutte contre les changements climatiques, mais son discours doit désormais s'adapter à la nouvelle administration américaine car les États-Unis, premier partenaire commercial, absorbent les trois quarts des exportations canadiennes.

« Ce projet va provoquer une importante levée de boucliers à gauche et au sein des écologistes, ce qui est un défi pour un parti centriste comme le parti libéral de Justin Trudeau », selon Matthew Hoffmann. « Cela met à mal ses engagements environnementaux, particulièrement si cela favorise le développement de l'exploitation des sables bitumineux », poursuit-il.

De toute façon, « cela ne sert à rien de fermer l'industrie canadienne si c'est pour que le pétrole soit produit ailleurs sur terre », tempère Pierre-Olivier Pineau, rappelant que la forte intégration des économies canadienne et américaine réduit la marge de manoeuvre politique du Canada.

Début mars, un rapport du Sénat avait noté que « si les États-Unis [revenaient] sur leurs objectifs de réduction d'émissions et sur l'accord de Paris », alors « les efforts de coopération mondiale de lutte contre le changement climatique » seraient vains.

« Les reproches qu'on devrait faire à M. Trudeau, c'est de ne pas être beaucoup plus agressif dans une réforme de nos sociétés pour nous amener à moins consommer », conclut Pierre-Olivier Pineau.