Tout en prétendant se soucier de l'intérêt public, Lucien Bouchard a bien défendu celui de l'industrie en évitant la question cruciale des permis d'exploration, estimait hier Scott McKay, porte-parole de l'opposition en matière de mines, au lendemain des premières entrevues données par le nouveau président de l'Association pétrolière et gazière du Québec.

«M. Bouchard est en train de nous dire: «Laissez-nous explorer de façon à ce que la valeur de nos permis explose, et que ça aille à 100% dans les poches des compagnies gazières», a dit M. McKay. Plus on va les laisser forer, plus elles vont prouver le potentiel commercial, plus la richesse va se créer au profit des compagnies, sans aucun bénéfice public.»

On sait que le Québec est le seul endroit en Amérique du Nord où l'industrie gazière ne paie aucun droit pour avoir accès à la ressource, hormis un loyer variant de 10 cents à 50 cents l'hectare.

Ailleurs, les gazières doivent verser des milliers de dollars l'hectare simplement pour avoir le droit de forer.

Comme le révélait La Presse l'automne dernier, la Colombie-Britannique vend ses permis d'exploration aux enchères, ce qui a rapporté 8 milliards de dollars depuis 10 ans à la province.

Pour l'instant, les compagnies gazières peuvent déjà spéculer sur la valeur du gisement québécois sans que cela profite d'aucune manière à l'État.

Par exemple, rapportait la semaine dernière TVA, un récent rapport financier au sujet de la compagnie australienne Molopo, qui détient des permis au Québec, affirmait que ces permis pourraient valoir 575$ l'hectare. Pour cette seule entreprise, cela pourrait représenter un pactole de 500 millions.

Redevances

Dans ses entrevues à La Presse et à RDI, M. Bouchard a surtout insisté sur les redevances d'exploitation, évitant le sujet des droits d'exploration.

Les redevances, dit-il, «il faut les changer, il faut les aligner sur ce que les autres font. Regardons ce qui se fait ailleurs et adoptons un régime qui soit modelé là-dessus».

De son côté, le géologue et ingénieur Marc Durand note qu'en entrevue à RDI, M. Bouchard a dénigré les points de vue scientifiques indépendants de l'industrie, dont le sien.

«Les deux seules études d'experts qui ont été mentionnées à M. Bouchard ont été reçues de la même façon, dit M. Durand. Est-ce que c'est son rôle de dénigrer de cette façon les études qui ne viennent pas de l'industrie?»

M. Durand prétend que l'industrie ne serait pas viable si on lui faisait porter le poids de sa responsabilité à long terme. Il affirme que, bien après l'abandon des puits par l'industrie, le gaz continuera à migrer, ce qui causera toutes sortes de problèmes.

«En parlant de cela, on met le doigt sur un bobo qui fait très mal à l'industrie, dit-il. Si on leur demandait d'assumer le risque sur 99 ans au lieu de le refiler à la société, est-ce que ce serait rentable?»

Il ajoute que le géologue en chef de Talisman, la société albertaine qui a embauché M. Bouchard, «n'a pas donné des réponses satisfaisantes à cet égard» dans une entrevue publiée dans La Presse lundi dernier.

Droits d'exploration bradés

De son côté, Daniel Breton, du mouvement MCN21, rejoint les propos de Scott McKay. «Quand il dit que ça prend un système de redevances à la hauteur, il met complètement de côté les droits d'exploration qui ont été bradés», dit M. Breton.

«On est tombé en pleine confusion des genres, a affirmé de son côté André Bélisle, de l'Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique (AQLPA). M. Bouchard est employé par Talisman, mais il prétend agir pour l'intérêt supérieur de la nation, comme s'il était aussi mandaté par la population.»

«Il a banalisé les préoccupations environnementales, dit-il. Mais les faits sont plus importants que le prestige de M. Bouchard. Pour nous, le moratoire immédiat demeure nécessaire.»