Une immense réserve naturelle créée grâce au don d'un richissime américain pourrait être traversée sur 9 kilomètres par une nouvelle ligne de haute tension d'Hydro-Québec, ce qui fragilise tout le mouvement de conservation en milieu privé.

C'est le cri d'alarme que lancent plusieurs groupes écologistes aujourd'hui, alors que le Bureau d'audiences publiques sur l'environnement (BAPE) tient des audiences à Sherbrooke sur le projet de ligne d'interconnexion Québec-New Hampshire.

Les organisations estiment qu'Hydro-Québec «crée un précédent extrêmement embarrassant et risque de porter un tort terrible à l'ensemble des actions de conservation qui se déploient en terres privées dans le sud du Québec», selon ce qu'affirme Mélanie Lelièvre, directrice générale du Corridor appalachien.

La sortie est appuyée par Nature Québec, le Conseil régional de l'environnement de l'Estrie et deux autres organismes.

Ce projet vise à augmenter les exportations électriques du Québec par une ligne à courant continu de 320 kV.

Côté québécois, la ligne longerait des lignes existantes, sauf dans la partie sud, où elle bifurquerait à travers la forêt Hereford, qui englobe la plus grande part du mont du même nom, troisième sommet de l'Estrie, à l'est de Coaticook.

Côté américain, la ligne serait enfouie sur 100 kilomètres, le tiers du parcours, afin de protéger les paysages des montagnes Blanches.

Les groupes exigent qu'Hydro-Québec fasse de même du côté québécois sur 18 kilomètres.

Hydro-Québec s'explique

Hydro-Québec a rejeté l'option d'enfouissement, qu'elle évalue à 66 millions.

En gros, selon le porte-parole d'Hydro-Québec, Serge Abergel, le promoteur de la partie américaine du projet a tout simplement plus de moyens qu'Hydro-Québec.

«Les deux entreprises opèrent dans deux environnements différents, dit-il. Au Québec, la Régie nous impose de choisir les meilleurs projets du point de vue technique et économique, parce que les coûts sont répartis entre tous les clients d'Hydro-Québec. Aux États-Unis, le prix de l'électricité pour la clientèle est beaucoup plus élevé. C'est 7 cents au Québec contre 30 cents le kilowattheure en Nouvelle-Angleterre.»

Un don de terres privées

La réserve naturelle Neil-et-Louise-Tillotson et la servitude de conservation forestière de la Forêt communautaire Hereford ont été créées en 2013, cinq ans après la mort de la veuve de Neil Tillotson, un Américain du New Hampshire qui a fait fortune avec son entreprise de gants chirurgicaux en latex.

Avec 5400 hectares, c'est le plus grand don de terres privées à des fins écologiques de l'histoire du Québec.

M. Abergel assure qu'Hydro-Québec travaille étroitement avec Conservation de la nature Canada (CNC) pour atténuer les impacts du projet.

Cet organisme, habituellement discret et mesuré, n'est manifestement pas content de la situation, s'il faut en croire le mémoire que CNC doit présenter cette semaine au BAPE, et que La Presse a obtenu.

Selon CNC, Hydro-Québec a «peu de reconnaissance pour cette aire protégée» et affiche un «non-respect de la vocation de protection du site». La décision de traverser la réserve créerait un «précédent à l'encontre des efforts de protection» qui implique une «non-reconnaissance des responsabilités morales et fiscales» reliées aux dons de terrains.

Coût du projet

Québec: 125 millions pour 79 km

New Hampshire: 1,6 milliard US pour 307 km