Président du jury de la 42e édition du Festival des films du monde, le cinéaste chilien Silvio Caiozzi est conscient des difficultés de l'événement. Mais il soutient le festival de Serge Losique qui, à ses yeux, est à l'abri des influences. Rencontre.

Comment voyez-vous votre travail de président du jury?

C'est une grande responsabilité. J'ai regardé seulement quatre films [nous l'avons rencontré samedi, au jour 2 de la compétition] et il y a de la bonne qualité. Ce ne sera pas facile. J'ai été juré dans d'autres festivals et je sais qu'une fois les délibérations arrivées, on fait face à un casse-tête. Avec plusieurs bons films, lesquels récompenser? Il est triste d'en écarter certains des palmarès.

Qu'appréciez-vous d'abord dans un film?

Un bon film doit vous happer dès les premières minutes. On doit très vite se retrouver dans l'univers de l'histoire sans ressentir qu'on regarde un film. Par la suite, j'examine le jeu des acteurs, la lumière, le montage, etc. Mais surtout, le scénario. Est-ce que c'est intelligent? Est-ce que ça me surprend ? Souvent, je peux deviner ce qui s'en vient. Ce n'est pas ce qui m'intéresse. Je veux qu'on m'entraîne dans des détours imprévisibles.

Trois des cinq jurés travaillent à distance. Ne devraient-ils pas tous être sur place?

J'ai dit à Serge Losique qu'à mon avis, il aurait été préférable que tout le monde soit ici pour échanger. Mais comme juré, j'ai aussi été témoin de débats interminables [rires]. J'ai participé à des rencontres qui s'étirent et aboutissent à des impasses. Donc, la méthode de Serge est peut-être efficace. Il m'a dit l'avoir employée dans le passé avec succès. Nous verrons.

Vous connaissez les difficultés du FFM. Pourquoi ce festival doit-il continuer?

Le FFM est l'un des rares, sinon LE festival qui demeure totalement indépendant. On peut y voir d'excellents films qui n'ont pas de distribution mondiale parce que complètement indépendants. Or, la plupart du temps, ils possèdent plus de qualités. De nos jours, plusieurs grands festivals sélectionnent les mêmes types de films, les mêmes styles et thématiques. Ce n'était pas comme ça il y a 10, 15 ans. Le FFM cherche les meilleurs films et non ceux à gros budgets, appuyés par de grands distributeurs, etc.

Des 24 films en compétition officielle, un seul compte une femme réalisatrice (en coréalisation, en fait). Est-ce acceptable?

Vraiment? Je ne le savais pas. Ce qu'on doit d'abord regarder, c'est la qualité des films. L'édition actuelle compte peut-être une très grande majorité de réalisateurs, mais je ne crois pas à cette idée d'avoir un ratio 50-50. Je crois en la qualité du film.

Quelle est alors votre opinion quant à une plus grande place pour les femmes réalisatrices?

C'est fantastique! Les femmes ont, bien sûr, des sensibilités différentes. Dans le passé, il y en avait peu, c'est vrai. Mais ce n'est plus le cas aujourd'hui. Au Chili comme ailleurs, on retrouve de plus en plus de femmes réalisatrices. Je trouve ça excellent. Cela apporte de nouvelles visions à nos cinématographies.

Les plateformes de diffusion telles que Netflix sont-elles bonnes ou mauvaises pour le cinéma sud-américain?

C'est ça, l'avenir, partout dans le monde! Avec internet, nous, les cinéastes indépendants, pourrons un jour promouvoir nos films et, je crois, deviendrons nos propres distributeurs [rires]. Même si les gens paient peu pour les regarder, ça donnera la possibilité d'amasser un peu d'argent pour en faire d'autres. Ce n'est pas le cas aujourd'hui. La distribution, le retour de dividendes, est contrôlée par une poignée de gens. Avec le streaming, les gens décident ce qu'ils veulent voir et payer. J'aimerais ajouter que même chez Netflix, on décide pour tout le monde de ce que les gens vont aimer ou ne pas aimer, sans donner au public la chance de comparer et choisir. Les gens ne connaissent que les films qui reçoivent une visibilité. J'espère que la technologie nous permettra de diffuser nos films librement.

Qui est Silvio Caiozzi?

Né le 3 juillet 1944, Silvio Caiozzi est, par choix, un cinéaste de peu de films. «J'ai besoin de tomber totalement en amour avec mes thèmes et mes personnages avant de faire un film, dit-il. Entre deux films, je gagne ma vie en tournant des publicités.» Son oeuvre la plus connue, La lune dans le miroir (1990), a été en compétition à la Mostra de Venise, où la comédienne principale, Gloria Münchmeyer, a remporté le prix de la meilleure actrice. Au FFM, il a remporté le Prix de la mise en scène pour Coronación (2000) et le Grand Prix des Amériques avec Y de Pronto el Amanecer (Et tout à coup à l'aube) l'an dernier.