La porte du traversier descend lentement, s'ouvrant sur le quai, l'île et un nouveau chapitre dans la vie d'Élie.

La jeune femme serre le volant de la voiture de ses mains au vernis des ongles à moitié écaillé. Son regard, un brin effarouché, empli de points d'interrogation, scrute l'horizon. De tous les côtés, la mer, rassurante en d'autres saisons, est chargée de glaces. À l'image de l'accueil qui attend cette fille de la ville.

Solitaire sans attaches apparentes, amochée, en manque de repères, Élie débarque parmi Les loups.

Titre du nouveau film de Sophie Deraspe (Les signes vitaux), Les loups raconte l'histoire d'une belle et mystérieuse étrangère dont l'arrivée impromptue dans une île de l'Atlantique Nord bouleverse le quotidien des habitants. Se pointant en dehors de la saison touristique, elle ne sera pas facilement acceptée comme elle le souhaite.

Parce qu'Élie est en quête d'appartenance, nous dit son interprète, Evelyne Brochu (Inch'Allah, Café de Flore, Polytechnique).

«Oui, Élie débarque toute seule. Mais elle ne veut pas le rester, argue la comédienne. Le film parle d'une quête de famille. Il y a chez elle une sorte de dérive; pas dans le sens de déprime, mais dans le fait qu'elle se laisse porter par les flots, qu'elle n'a pas de port d'attache.»

Cette recherche d'ancrage chez Élie est rendue nécessaire par son passé qui se dévoilera peu à peu. Mais la communauté va se cabrer. À travers Maria (Louise Portal), chef de la meute, les insulaires remettent en question cette présence. À la veille de l'ouverture de la saison de la chasse au phoque, Élie ne cacherait-elle pas une journaliste, une militante écologiste?

Lors des auditions, la cinéaste Sophie Deraspe a trouvé chez Evelyne/Élie le contraste idéal avec Louise/Maria. «Je souhaitais une Maria rude, mais aussi aimante. Lorsque Evelyne est arrivée en audition avec sa peau blanche, ses cheveux blonds, sa fragilité, son côté évanescent, j'ai vu en elle le personnage contrasté que je cherchais. Et Evelyne s'est complètement imprégnée du rôle.»

En effet, Evelyne Brochu a longtemps porté ce personnage en elle. «J'ai fait les auditions avant de tourner Café de Flore [à l'automne 2010], dit-elle. Quelque chose dans le rôle d'Élie m'a toujours attirée. Et j'avais envie de travailler avec Sophie, qui fait un cinéma unique. J'avais l'impression que quelque chose de très fort allait se passer sur le plateau.»

Elle donne en exemple les scènes tournées avec Gilbert Sicotte (Léon), un de ses professeurs au Conservatoire. «Je l'ai beaucoup aimé et appris tellement de choses avec lui, dit l'actrice. Lorsque nous avons tourné la scène où Élie révèle le but de sa quête à Léon, j'ai été très émue.»

Près des éléments

Au-delà d'une quête familiale, Les loups raconte aussi l'histoire d'une communauté isolée cultivant des liens pratiquement filiaux avec la nature, les éléments, les forces terrestres.

Lorsqu'on demande à Evelyne Brochu de quoi est faite cette histoire, elle répond: «J'ai d'abord cette image des glaces à la dérive qui s'entrechoquent. C'est une image de paix et en même temps de danger. C'est brutal, mais aussi pur et beau. J'ai aussi cette succession d'images de l'accouchement de la grande fête et d'un petit phoque dépecé. Cela me dit que dans cette nature magnanime, l'être humain donne vie, vibre, se rassemble, accouche et va jusqu'à reprendre la vie. Tous ces paradoxes m'intéressent.»

Son interprétation voisine avec celle de Sophie Deraspe, qui désire exposer le mode de vie des pêcheurs battant au rythme du cycle de la nature. «Cette nature reprend la vie comme elle la donne, sans juger ou diviser», dit la cinéaste.

La force des Îles

En contraste avec le personnage au départ isolé qu'elle interprète, Evelyne Brochu se nourrit du travail d'équipe. «J'ai toujours voulu faire du cinéma parce que j'aime les familles, recréer des communautés d'esprit. J'avais le sentiment que dans cette aventure, le tournage allait être très familial et communautaire. En général, pour moi, que des êtres humains se rassemblent autour d'un but commun me touche et me fait du bien.»

Elle a tissé des liens avec les gens des Îles-de-la-Madeleine où elle n'était jamais allée avant le tournage. Il faut dire que Sophie Deraspe, originaire des Îles, a tout fait pour intégrer les résidants dans le projet. Selon le producteur Marc Daigle, une centaine de Madelinots y ont participé. À commencer par Cindy-Mae Arsenault, jeune femme au talent brut qui interprète Nadine, la première amie d'Élie aux Îles.

Depuis le tournage, Evelyne Brochu est retournée quatre fois aux Îles-de-la-Madeleine, pour lesquelles elle a eu un coup de foudre. «Il y a ici une espèce de force, dit-elle. Est-ce la présence de l'eau? De la mer qui gronde? On dirait que là, on sent le pouls du monde. D'être ainsi face aux éléments nous ramène à une sorte d'essence qui nous rend humbles.»

Sophie Deraspe: l'insulaire urbaine

Depuis toujours, elle porte en elle le vent du large, le grondement de la mer et la force des glaces. Au fil des ans, elle y a ajouté l'agitation, le tumulte et l'énergie de la ville. Son être, comme son cinéma, est sans doute à la croisée de ces deux mondes.

Sophie Deraspe ressemble-t-elle plus à l'urbaine Élie ou à l'insulaire Maria, lui demande-t-on en début d'entrevue. Elle sourit, heureuse, et se lance dans une de ces denses réponses dont elle seule connaît le secret.

«Je pense être vraiment les deux, dit-elle. Je suis très urbaine. J'aime la ville, je vis en ville. J'aime son anonymat, sa mixité de cultures, son architecture. Pourtant, cette communauté d'insulaires du film me parle beaucoup. Je suis originaire des Îles-de-la-Madeleine par mon père. Ce lieu m'habite et, en même temps, il me fascine comme s'il était extérieur à moi.»

Son film Les loups est donc un retour en ce lieu baigné par les eaux du golfe Saint-Laurent. Cette remontée aux sources est nourrie par une envie de dépeindre la communauté et les liens que celle-ci entretient avec son environnement.

«Je suis attirée par le fait que ces gens qui chassent soient si proches de ce qu'ils mettent dans leur assiette, dit la cinéaste. Ils sont toujours à proximité de la vie et de la mort, d'une nature plus forte qu'eux, qu'ils ne contrôlent pas et qui fait pourtant partie de leur quotidien.»

Les gens des Îles, Sophie Deraspe les aime vivement et parle d'eux avec chaleur. Elle ne semble pas avoir éprouvé trop de vertige en tournant un film sur et avec cette communauté à laquelle elle est si attachée. Parce qu'elle a été guidée par une envie d'authenticité.

«J'ai voulu être la plus sincère possible, dit-elle. Je ne voulais pas offrir une vision romantique des lieux ou, au contraire, diabolisée. Je voulais montrer ces gens dans leur complexité. C'est comme ça que je leur rends le plus justice. Après, je suis prête à discuter, à recevoir les commentaires, à partager avec eux.»

Elle voit un lien avec Les signes vitaux, son film précédent, qui se passe complètement ailleurs, dans un centre de soins palliatifs de Québec.

«Dans Les signes vitaux, on s'interrogeait sur ce qui a compté au moment où se termine la vie. J'en venais à la conclusion que ce sont les liens qu'on a créés. Les loups, c'est ça aussi avec cette meute d'hommes et de femmes qui se tiennent serré, chassent, s'équilibrent les uns les autres. Et Élie, élément étranger de l'histoire, a ce besoin d'appartenance, de savoir d'où elle vient et de créer des liens pour donner un sens à son existence.»

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Sophie Deraspe