Une vingtaine d’années après l’arrivée des cotes d’évaluation qu’attribuent les critiques aux œuvres artistiques qu’ils voient, La Presse instaure un nouveau système de notation sur 10. Ayant décerné quelques milliers d’étoiles depuis deux décennies, Marc Cassivi et Marc-André Lussier discutent de l’importance de ces fameuses cotes…

Marc-André Lussier : J’ai envie de commencer cette discussion en te demandant de fouiller un peu dans le passé. Te souviens-tu de ta réaction quand La Presse, comme plusieurs autres médias, nous a demandé d’ajouter à nos critiques des cotes d’évaluation ?

Marc Cassivi : Si je me souviens bien, à l’époque, je dirigeais le cahier Cinéma. Il y a eu une grande réforme graphique, et on a décidé de noter les critiques avec des étoiles. J’aimerais te dire le contraire, mais j’étais sans doute d’accord avec la décision. C’était peut-être même mon idée… Tu t’en souviens, toi ?

M.-A. L. : Oui. À l’époque, ce modèle s’est répandu comme une traînée de poudre dans tous les médias écrits et électroniques. Personnellement, j’y étais plutôt réfractaire, mais je me suis résigné, car nous sommes alors entrés dans une ère où l’internet a complètement changé la donne dans la façon qu’ont les gens d’aller chercher leurs informations culturelles. Une cote indique instantanément la couleur d’une critique.

M. C. : On a parfois l’impression que les lecteurs ne regardent que les cotes, ce qui est un peu désolant. Dans le « bon vieux temps », ils devaient au moins lire notre dernier paragraphe pour saisir l’essentiel de notre appréciation ! Tu te souviens des films auxquels tu as donné la pire note ?

M.-A. L. : À une certaine époque, parce que c’était possible sur le plan graphique, nous pouvions attribuer une cote encore pire qu’une seule étoile, symbolisée par le visage d’un petit bonhomme mécontent. Je ne l’ai pas utilisée très souvent, mais je crois que l’équipe du Bonheur de Pierre en garde encore un très mauvais souvenir. À l’inverse, j’ai aussi accordé des 4,5 à des films exceptionnels (le dernier en lice, en ce qui me concerne, est Roma, d’Alfonso Cuarón), mais j’essaie toujours de garder les meilleures cotes pour les films qui, à mon sens, le méritent vraiment. Autrement, ça ne veut plus rien dire.

M. C. : Je tends à oublier les mauvais souvenirs, mais je n’ai donné aucune étoile à Love de Gaspar Noé. Mon titre était « Bouillie érotique ». Et sauf erreur, je n’ai accordé qu’une seule fois 5 étoiles, pour In the Mood for Love de Wong Kar-wai. Libre à chacun d’être plus généreux, mais, comme toi, je suis plutôt avare de mes étoiles. Le chef-d’œuvre se mesure sur la durée et doit résister à l’épreuve du temps, il me semble. In the Mood for Love était un classique instantané. Je ne suis pas fâché qu’on passe à un barème de 10. J’aurais donné quatre étoiles et quart à Dune. Ce sera possible avec un 8,5 ! On nous reproche de trop souvent donner une cote de trois étoiles et demie. Avec le nouveau barème, on aura plus de flexibilité...

M.-A. L. : En effet. À partir du moment où l’on partait du principe qu’un film moyen méritait une cote de 2,5 et qu’on ne pouvait attribuer plus de 4,5 à un film vraiment exceptionnel, notre marge de manœuvre était très mince. Avec le nouveau système, si l’on part du principe qu’un film moyen mérite la note de 5 et qu’un film vraiment exceptionnel aurait droit à un 9, nous aurons maintenant accès, en comptant aussi les demies, à un registre beaucoup plus large ! As-tu une hantise liée aux cotes ? Celle de noter trop bas ou trop haut, par exemple ?

M. C. : Je n’en fais pas une maladie, mais c’est évident que la note reste et qu’on s’en souvient souvent davantage que du texte. Donc on espère ne pas trop changer d’avis dans les mois qui suivent. Ce qu’il faut savoir, et que tous les lecteurs ne savent peut-être pas, c’est que la plupart des œuvres que l’on voit, parmi les nombreuses dizaines dans une année, sont moyennes. Je sais que c’est un running gag, nos nombreuses cotes de trois étoiles et demie, mais pour mériter 4 étoiles, il fallait vraiment qu’un film soit très bon. Une cote sur 10 permettra de mieux faire la distinction entre le film à 6,5 et celui à 7,5. On est dans le moyen inférieur et supérieur. C’est-à-dire la majorité des titres !

M.-A. L. : On voit en effet très souvent des films qui vont de « moyen » à « correct ». On pourra davantage nuancer avec le nouveau système. Jusqu’à maintenant, mon critère personnel pour accorder 4 étoiles à un long métrage était assez simple : a-t-il le potentiel de figurer dans la liste de mes 10 films favoris à la fin de l’année ? Si c’est le cas, j’attribue 4 étoiles avec grand plaisir. Il faut également toujours garder à l’esprit que ces fameuses cotes peuvent aussi être récupérées à des fins publicitaires. Je n’ai aucun problème avec ça quand il s’agit d’un film que je soutiens vraiment, mais il arrive parfois qu’on se retrouve dans la publicité d’un film qu’on ne recommande pas vraiment. Et ça, ça me gosse…

M. C. : Je te comprends. Ce n’est pas parce que j’ai accordé 3 étoiles à un film que je n’ai pas de réserves.

M.-A. L. : J’ai hâte de voir à partir de quel chiffre une cote deviendra intéressante dans l’esprit des gens avec le nouveau système : 7 ? 8 ?

M. C. : J’ai envie de dire aux lecteurs de ne pas s’étonner de voir beaucoup de 7 et de 7,5. Et surtout, de continuer de lire nos textes !